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Chronique à temps perdu: Le déclin de l’aura monarchique

Au moment où j’écris ces lignes, deux membres de la famille royale britannique entament leur courte visite de trois jours au Canada à St. John’s.

Patrick Renaud

Le prince Charles, premier prétendant au trône, et sa femme Camilla défilent sous mes yeux, grâce à la couverture en direct de la CBC, à travers les jardins de la résidence de la lieutenante-gouverneure. Ils s’y recueillent en présence de représentants autochtones, de dignitaires, de politiciens et même d’enfants qui brandissent joyeusement des petits drapeaux canadiens.

Il y a là, tous les indicateurs qu’il y a quelque chose qui se passe: couverture médiatique extensive, occupation de différents lieux à haute teneur symbolique, présence de dignitaires politiques et communautaires, présence d’enfants qui à la fois représentent la légèreté d’une joie innocente et expriment l’idée d’une relation entre les Canadiens et la famille royale qui se prolonge d’emblée dans la durée, puisqu’ils sont, déjà, les Canadiens de demain.

Or un événement ne se caractérise pas seulement par ce qui se passe et ne se réduit pas à ce qui s’y présente. Il s’élabore à partir de ce que cette présence permet de dire. L’événement est consubstantiel aux gestes d’écriture et de parole qui lui donnent vie et sens. Et force est de constater que l’événement de cette visite royale permet de dire bien des choses; des choses parfois surprenantes.

Peinture d'une scène d'exécution pendant la Révolution française de 1793. Au centre, on voit une guillotine sur une structure en bois avec un grand groupe de personnes autour. À droite, des bâtiments blancs, et à gauche, une sculpture verte sur une plate-forme grise. Le ciel à l'arrière-plan est bleu avec des nuages gris.
Peinture: «Une exécution capitale, place de la Révolution» par Pierre-Antoine Demachy

Monarchie et démocratie

Dans son allocution, le Premier ministre Justin Trudeau voyait cette visite comme une manière de souligner l’importance de la monarchie dans la mesure où elle assure «l’endurance et stabilité de notre démocratie». 

La déduction politique que l’on peut faire de cette idée est alors bien simple: puisque la stabilité et l’endurance de nos institutions démocratiques dépendent en grande partie de ce lien historique avec la monarchie, il serait mal avisé de renoncer à ce lien unissant le Canada à la couronne.

Cette explication monarchique de la stabilité de notre démocratie est commode pour Justin Trudeau, bien sûr. puisqu’elle lui permet de tracer le portrait d’une conjoncture politique stable.

Or ce portrait, pour qu’il soit vraisemblable, opère une réduction particulièrement sévère de ce qu’est la démocratie, la réduisant essentiellement à la vie parlementaire et au processus de passation du pouvoir de gouverner. 

Ceci lui permet d’oublier les différentes formes de vie politique qui existent à l’extérieur du parlement et qui viennent déranger la supposée stabilité de l’ordre parlementaire et constitutionnel canadien. On peut penser ici aux différentes luttes des peuples autochtones: pour leur autonomie politique, pour défendre leur relation à leurs territoires, pour ne pas vivre dans la misère, pour ne pas que leurs langues et leurs traditions soient effacées. La «stabilité démocratique» dont parle Trudeau est aussi, en grande partie, ce contre quoi se battent ces groupes autochtones puisqu’elle reproduit des relations coloniales avec les peuples autochtones 

Trudeau oublie également que, comme c’est le cas dans beaucoup de démocraties occidentales, il y a une certaine crise de confiance de certaines franges de la population envers les institutions politiques traditionnelles et qu’il aurait pu participer à la solution de cette crise de confiance en instaurant une réforme du mode de scrutin. Mais comme tant d’autres politiciens avant lui, il aura manqué de courage et de volonté.

De parler alors d’une stabilité démocratique qui dépend de la stabilité centenaire d’une tête couronnée qui vit de l’autre côté de l’océan permet ainsi au premier ministre de ne pas voir certaines réalités politiques qui autrement sont tout à fait évidentes.

Le lien à la monarchie qui s’effrite

La rhétorique du premier ministre mariant monarchie et démocratie l’empêche également de voir à quel point un tel argument est, de fait, de moins en moins audible au sein de la population canadienne. En fait, Trudeau «n’entend pas de sentiment anti-monarchiste significatif de la part des Canadiens». 

Or, ce qu’il n’entend pas, les sondages, eux, l’entendent et le font voir très clairement. Un sondage récent indique ainsi que la moitié des Canadiens pensent qu’il serait souhaitable de couper les ponts avec la monarchie dans le futur. Et la clause «dans le futur» semble dépendre d’un attachement particulier à la personne de la reine. L’attachement à la monarchie serait alors analogue à une tradition familiale que l’on respecte parce que notre grand-mère y tient. Or rien n’indique que la tradition sera respectée lorsque grand-mère rendra l’âme.

Si la présence d’enfants lors de l’arrivée du couple royal voulait exprimer l’attachement supposé pérenne des Canadiens à la monarchie, on peut également se tourner vers d’autres enfants qui eux, n’étaient pas présents et qui avaient cependant des choses à dire. 

Par exemple cet enfant pour qui le couple royal ne représente pas une condition de la stabilité politique de son pays, mais qui y voit plutôt l’expression de «la division entre les riches et les pauvres» qui participe à la fragilisation de la paix sociale de toute société, comme nous le savons depuis Aristote. Ou encore cet autre enfant pour qui la visite du couple royal n’est autre chose qu’un événement médiatique centré autour de deux célébrités mais qui ne lui dit rien à elle en tant que Canadienne.

Si le second enfant est à la rigueur indifférent à cette relation historique entre la couronne et le Canada, le premier la juge néfaste et voit les vertus de la rupture, c’est-à-dire, d’une refondation de l’ordre constitutionnel et politique canadien.

Bien entendu, peut-être Trudeau s’est-il exprimé ainsi par pure politesse et par simple souci protocolaire. Mais il faut peut-être s’attendre à ce que de plus en plus de personnes lui disent que la politesse a ses limites et que certains protocoles et traditions peuvent et doivent être abandonnés. Surtout si grand-mère Élisabeth n’en a plus pour bien longtemps…

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