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Bégayer en contexte minoritaire

Geneviève Lamoureux, doctorante en orthophonie et personne qui bégaie, a vécu une série d’expériences riches qui l’ont amenée à créer et animer le balado en français Je je je suis un podcast.  Portrait d’elle et de son projet.

Propos recueillis par Liz Fagan

Liz Fagan (LF): Quel est votre expérience en tant que personne qui bégaie?

Geneviève Lamoureux (GL): Je suis une adulte qui bégaie. Comme plusieurs personnes, j’ai commencé à bégayer quand j’étais enfant. Je viens de terminer la maîtrise professionnelle en orthophonie, mais je ne suis pas encore orthophoniste, comme je ne suis pas encore membre de l’Ordre professionnel des orthophonistes et des audiologistes du Québec (cela prend quelques mois suite à l’obtention du diplôme). 

J’ai commencé en septembre un doctorat en sciences de l’orthophonie. Donc je me lance dans un gros projet qui m’intéresse vraiment. Je suis passionnée par mon sujet et je suis très contente. Aussi, depuis 2020, je co-anime et co-produis un podcast sur le bégaiement en français et produit au Québec. Ça s’appelle Je je je suis un pod-cast, et c’est produit par l’Association Bégaiement Communication (ABC), un organisme basé au Québec et consacré aux adultes qui bégaient.

Une femme est assise sur une terrasse de restaurent, elle a les cheveux bruns et porte une camisole grise. Elle sourit vers la caméra.
«C’est vraiment important de créer du contenu en français, et la réception de notre podcast en est la preuve.» Photo: Courtoisie Geneviève Lamoureux

Mes recherches, la production du podcast et mes expériences avec le bégaiement me m’ont permis de prendre conscience du fait qu’on est vraiment dans une société où on a des normes de contrôle de soi, de contrôler ce qu’on perçoit comme une faiblesse – dans ce cas-ci, le bégaiement. Mais le bégaiement est simplement une caractéristique neutre qui fait partie de nous. 

Justement, maintenant, au doctorat, dans mes études, mon projet porte sur la stigmatisation et l’auto-stigmatisation des personnes qui bégaient. Et quand j’ai découvert ce concept-là, appliqué au bégaiement, c’était si libérateur. 

Je suis aussi inspirée par les recherches de Christopher Constantino, qui portent sur la fierté du bégaiement, sur la beauté dans le bégaiement. Je trouve que c’est une belle approche parce que ça permet de dénoncer la stigmatisation en apportant un côté positif à une parole différente. Je trouve que c’est rafraîchissant. Pourquoi? Parce que ce n’est pas juste «okay» de bégayer, mais c’est aussi beau. C’est un message vraiment fort.

LF: Si vous avez déjà eu recours à l’orthophonie, cela vous a-t-il aidé?

GL: Je suis allée voir une orthophoniste pour la première fois à sept ans. J’en ai consulté beaucoup après par la suite. J’en ai consulté aussi quand j’étais adulte après, mais c’était différent parce que j’avais maintenant des connaissances sur le bégaiement. 

Quand j’étais petite et adolescente, je n’avais aucune idée de ce que les services en orthophonie pouvaient être. Je me rappelle qu’en orthophonie, il y a 20 ans, c’était très axé sur les stratégies pour être fluide. Dans le bureau de l’orthophoniste, j’étais en mesure d’utiliser les stratégies, mais dès que j’en sortais, je n’arrivais pas à les mettre en place dans un contexte naturel au quotidien. J’avais un sentiment d’échec. 

On basait mes progrès sur ce que je ne pouvais pas faire, soit appliquer des stratégies de parole la majorité du temps. On m’a expliqué que les stratégies deviendraient automatiques, comme une deuxième parole. Mais ce n’est jamais arrivé. Je pensais que c’était moi qui n’étais pas assez bonne, qui n’avais pas assez travaillé, qui étais un échec.

Je pense que ces expériences-là, ces thérapies-là, ont renforcé des croyances comme quoi je suis inadéquate parce que justement, je n’arrivais pas à mettre en place des stratégies et à être en «contrôle» de mon bégaiement tout le temps. 

Ma mère m’a dit récemment que l’orthophoniste avait dit quand j’étais petite: «Bon, elle est un peu plus vieille maintenant. Probablement que le bégaiement ne partira pas, mais elle sera en mesure de le contrôler en tout temps». 

Aujourd’hui, avec le recul et mes connaissances, je réalise que ce que j’aurais voulu petite, c’était surtout qu’on m’aide à m’affirmer avec ma parole différente et à aimer parler! Pas seulement apprendre des stratégies pour masquer. 

Je me réjouis de voir que les connaissances scientifiques sur le bégaiement et les approches changent et que de plus en plus, on est vraiment vers un modèle d’inclusion, de diversité, de richesse et de spontanéité dans la parole (plutôt que de masquer le bégaiement).

LF: En lien avec Je je je suis un podcast, un des premiers podcasts en français sur le bégaiement, est-il juste de dire que les gens étaient contents qu’il y ait du contenu sur le bégaiement en français?

GL: Oui! On a reçu énormément de bons commentaires sur le podcast, ce qui nous a beaucoup touchés, moi et l’équipe. Plusieurs personnes ont dit que le fait que le podcast soit en français les amenait à s’identifier aux animatrices – moi-même et l’orthophoniste Judith Labonté – et à nos invité.e.s. 

Ça me rappelle la théorie d’auto-efficacité. Dit en termes simples, c’est que lorsqu’on ne se croit pas capable de faire quelque chose, par exemple pour une personne qui bégaie, on pourrait se dire que c’est impensable de faire un podcast… mais qu’on voit quelqu’un à qui on s’identifie beaucoup faire cette chose-là, ça nous renforce parce qu’on se dit que si cette personne peut le faire, alors nous aussi! Ces ressources francophones sont à mon avis essentielles, pour que les personnes d’expression française puissent s’y reconnaître. 

LF: Selon vous, quels sont les défis et les besoins de soutien pour les personnes francophones qui bégaient?

GL: Le fait d’avoir du contenu en français – ça, on le met en italique. Se faire entendre comme communauté, c’est très important. Faire vivre une information de qualité sur le bégaiement, en français, pour rejoindre le plus de gens possible. Il faut créer du contenu en français et aller parler du bégaiement dans notre communauté. 

Ressources et plus d’informations

Vous êtes francophone et vous bégayez? Voici quelques ressources qui pourraient vous être utiles.


En français:

ABCbégaiement:
Instagram, Facebook et Twitter: @ABCbégaiement
Site web: www.abcbegaiement.com

Je je je suis un podcast:
Diponible sur Spotify, Apple Podcast, Google podcasts
Courriel: [email protected]


De Terre-Neuve-et-Labrador:

NL Stuttering Association
Facebook: www.facebook.com/
groups/535643736920153/
Instagram: @nlstuttering
Twitter: @ourvoiceNLSA
Site web: www.nlstuttering.ca

Some Stutter L’uh
Disponible sur Spotify
Site web: www.somestutterluh.ca

«C’est vraiment important de créer du contenu en français, et la réception de notre podcast en est la preuve.» Photo: Courtoisie Geneviève Lamoureux

LF: Atteindre un objectif tel que la fluidité parfaite peut mettre beaucoup de pression sur les personnes qui bégaient. Qu’est-ce que le mot «fluidité» signifie pour vous? 

GL: Je pense effectivement qu’il y a un impact du mot «fluidité» sur la santé mentale des gens qui bégaient. Il y a des articles scientifiques et de la recherche qui sont ressortis sur ce sujet-là. Donc ça fait beaucoup de bruit dans la communauté. Essentiellement, l’utilisation du mot «fluidité», c’est de définir le bégaiement par ce qu’il n’est pas: si tu bégaies, tu n’es pas fluide. Cela fait en sorte que chaque fois que la personne bégaie, elle peut le ressentir comme un échec. 

J’ai assisté à une rencontre d’orthophonistes, où les gens disaient qu’ils allaient changer le nom des cours universitaires comme: «Troubles de la fluidité». Je m’en réjouis. Personnellement, quand j’entends le mot «fluidité», ça me chicote toujours un peu. C’est inconfortable.

LF: Y-a-t-il du soutien santé mentale pour les personnes francophones qui bégaient?

GL: Au Québec, à ma connaissance, il y a peu de psychologues ou travailleuses/travailleurs sociaux qui ont une connaissance des enjeux liés au bégaiement. Donc une personne qui bégaie et qui consulte en santé mentale pourrait potentiellement vivre une sorte de stigmatisation auprès de ces spécialistes. Pour moi, ce serait important de bonifier la formation de ces spécialistes pour les sensibiliser. 

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