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5 mythes sur l’autonomie alimentaire

La consommation locale a la cote, et d’aucuns se mettent même à rêver à l’autosuffisance alimentaire du Québec. Jusqu’à quel point est-ce possible? Le Détecteur de rumeurs passe en revue quelques mythes entourant ce concept.

Catherine Couturier – Le Détecteur de rumeurs 

Agence Science-Presse (www.sciencepresse.qc.ca)

La pandémie de COVID-19 a causé de nombreuses ruptures dans les chaînes d’approvisionnement. Le premier ministre québécois François Legault a fait la promotion en 2021 de l’alimentation locale et de «l’autonomie alimentaire». L’idée, encore mal définie, reprendrait en partie la définition de la souveraineté alimentaire, qui stipule entre autres le droit des peuples «à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles», en opposition à un système industriel et mondialisé.

Quant à l’autosuffisance alimentaire, elle se définit comme «la capacité d’un État à produire autant d’aliments que sa population en consomme», c’est-à-dire tous les aliments consommés par ses habitants — un concept plus restrictif que l’autonomie alimentaire.

1) Le Québec pourrait rapidement devenir autosuffisant? Non

Au Québec, l’autosuffisance complète serait utopique, selon l’Institut Jean-Garon — du nom d’un ex-ministre québécois de l’Agriculture qui avait lui-même fait la promotion d’une telle autosuffisance. Toutefois, le Québec est bel et bien autosuffisant dans plusieurs catégories de produits — notamment les œufs, la volaille, les produits laitiers — et même excédentaire pour des produits comme l’érable, les canneberges, le porc.

Comme l’expliquait en 2020 Patrick Mundler, de l’Université Laval, le Québec produit deux fois plus de calories que ce que sa population consomme. Mais comme notre système agricole est d’abord basé sur l’exportation et la spécialisation, on ne peut renverser le tout en claquant des doigts. L’équipe de l’émission Carbone de Radio-Canada rapporte que, depuis les années 1950, nous sommes passés de 150 000 fermes au Québec, qui produisaient les trois quarts des aliments dans une agriculture de subsistance, à 30000 fermes.

Depuis 1989, le Québec a choisi de mettre l’accent sur l’exportation du porc, ce qui veut dire que la production de maïs-grain, qui sert à nourrir ces animaux, occupe aussi le haut du pavé dans les champs: environ 80% des oléagineux et céréales qui poussent au Canada sont destinés à l’alimentation animale.

Adopter une agriculture davantage de subsistance prendrait du temps et des changements dans les lois: pour favoriser une diversification de la taille des entreprises agricoles, mais aussi pour faciliter l’accès à des lots de différentes tailles, et donner accès à des tarifs préférentiels d’électricité pour faciliter la culture en serre. Sans compter les défis posés par la pénurie de main-d’œuvre pour récolter ce que l’on sème, et les nombreux accords de libre-échange déjà signés.

2) Manger local coûte plus cher? Pas nécessairement

Le mythe selon lequel les produits québécois sont plus chers a la vie dure. Or, un récent rapport préparé par le Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, en collaboration avec Aliments du Québec, rapporte que pour 70% des produits analysés, les denrées québécoises sont au même prix, ou même moins coûteuses, que celles d’ailleurs. Le rapport a ainsi analysé les prix de 134 produits locaux et 431 produits comparables, affichés en janvier et février 2022. Même si c’était l’hiver, les deux tiers des catégories d’aliments locaux étaient à des prix aussi avantageux, sinon plus, que les produits équivalents.

Notons toutefois que les produits évalués incluaient des aliments préparés au Québec, ce qui peut s’éloigner de la perception d’un aliment local, et que dans certaines catégories, les produits comparés étaient limités à cause de la saison (notamment les fruits et légumes). L’inflation des derniers mois (causée par l’augmentation des coûts de l’énergie et le conflit en Ukraine, entre autres) pourrait toutefois avoir une répercussion sur le prix des denrées, québécoises comme internationales.

3) Le panier d’épicerie comprend 50% de produits québécois? Non

Lorsqu’on parle d’alimentation locale, on entend souvent que 50% du panier d’épicerie moyen serait composé de produits québécois. Or, le chercheur Patrick Mundler chiffre plutôt à 35% cette proportion. Il faut dire que le concept «d’aliment du Québec» est variable. L’organisme Aliments du Québec offre des certifications pour des aliments dont les ingrédients principaux poussent au Québec, mais aussi pour les aliments transformés au Québec. Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) et l’Union des producteurs agricoles du Québec (UPA) comptabilisent eux aussi comme aliment québécois un produit d’ailleurs, mais transformé ici.

4) Manger local manque de variété au Québec? Non.

Il ne pousse pas que des patates, des oignons et des carottes au Québec (même si la patate est la championne)! Il est vrai que les choix abondent davantage en été, mais l’agricultrice Véronique Bouchard parle d’une diversité «saisonnière» à propos des produits locaux.

Les légumes qui occupaient le plus de superficies en hectares au Québec en 2021 étaient le maïs sucré, les pois verts, les haricots, les carottes et les laitues. Du côté des fruits, le bleuet, les pommes, les canneberges, les fraises et les raisins à vin occupaient le haut du pavé.

Il reste aussi du travail à faire pour découvrir des produits locaux oubliés et peu consommés: par exemple, les ressources maritimes ou les espèces végétales indigènes qui peuvent remplacer des produits importés (comme le mélilot au lieu de la vanille, ou les fraises immatures, la rhubarbe ou le sumac pour le citron).

5) Manger local est plus écologique? Non

Dans un texte publié dans La Conversation en 2020, le professeur en agroenvironnement Serge-Étienne Parent, de l’Université Laval, remettait en question le fait qu’un virage local et biologique soit nécessairement mieux pour l’environnement. Bien avant lui, une étude de 2008 estimait que la distance parcourue par nos aliments ne contribue qu’à 11% des émissions de gaz à effet de serre. Pour vraiment réduire son empreinte, il faut plutôt s’attarder au contenu de notre assiette, pour privilégier les végétaux plutôt que les produits d’origine animale.

En conclusion: pourrait-on devenir complètement autosuffisant?

Il n’y a pas de réponse simple à cette question. Le Québec était pratiquement autosuffisant jusqu’aux années 1950, mais la variété dans nos assiettes était beaucoup plus limitée. Le consommateur serait-il prêt à s’adapter? Par ailleurs, se détacher des chaînes de production et de distribution mondiales est théoriquement possible, mais le Canada pourrait se retrouver isolé si une crise le frappait à son tour — incendies, canicules et sécheresses, inondations, maladies, etc.

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