ABC 2022

B-Sur la piste d’un chasseur-cueilleur

Des bourgeons d’épinettes enrobées de chocolat, des têtes de violon sautées à la poêle et revenues dans du beurre, des chips d’ortie ou encore des morilles à la crème, on en a l’eau à la bouche. Le point commun de ces recettes? Partagées en ligne sur la page Facebook Newfoundforage, elles sont toutes faites à partir d’ingrédients récoltés directement dans la nature terre-neuvienne. Rencontre avec le créateur de cette page, Den Langor.

Magazine d’été 2022 – B: Baies Sauvages – Se nourrir de Dame Nature

Den Langor en plein foraging, dans son élément. Crédit : Courtoisie de Den Langor

Coline Tisserand

« Attraper des poissons, aller cueillir des baies, prendre les lièvres au collet : j’ai découvert le foraging en suivant mes grands-parents et mon oncle dans la nature depuis que je suis tout petit,» [traduction] nous raconte Den Langor au téléphone, un terre-neuvien originaire de St. John’s.

Den Langor est âgé d’à peine quatre ans lorsqu’il commence à ramasser ses premières plantes comestibles. Il ne semble donc pas étonnant que le foraging soit devenu sa spécialité, son « métier,» depuis trois ans environ. Ce terme anglais, forage, dont le premier usage connu remonte au 14e siècle, dériverait directement du vieux français fourrage, la matière végétale utilisée pour nourrir le bétail, telle la paille.

Animaux ou humains : à la recherche d’aliments sauvages

Le verbe anglais désigne par extension le fait de chercher des ressources alimentaires sauvages pour se nourrir. Fourrageage ou encore fouragement fleurissent sur Internet pour l’équivalent français de cette pratique, mais c’est l’expression de «recherche de nourriture » qui semble être la traduction la plus courante.

Dans tous les cas, cette pratique n’est pas seulement du ressort des animaux sauvages; les êtres humains ont toujours été à la recherche d’aliments comestibles, à la base pour leur survie, aujourd’hui pour essayer de consommer plus local. «Que ce soit un humain ou un animal, la façon
la plus simple de se nourrir est de cueillir ou de chasser ce que la nature nous offre. Cette idée que la nourriture est disponible directement dans la nature, d’une année à l’autre, sans avoir besoin de la planter, c’est une idée qui m’a été inculquée très jeune. »

Des pousses d’épinette enrobés de chocolat, pour les plus gourmands ! Crédit : Courtoisie de Den Langor

Éthique du cueilleur

Si la nature nous offre ses ressources naturelles pour remplir nos assiettes, les trouver n’est pas aussi simple que cela. Que ce soit cueillir des baies, ramasser des champignons ou récolter des algues, ces activités demandent de la patience, de l’observation, des connaissances, et surtout de respecter une certaine éthique.

Il est important d’observer et de connaître l’environnement dans lequel on se rend pour sa cueillette, d’éviter des sols proches des routes ou des résidences qui pourraient être contaminés. Se renseigner sur les espèces rares, pratiquer des récoltes durables (ne pas surcueillir et nettoyer les outils avec de l’alcool après chaque coup), mais aussi respecter le cycle de vie des plantes sont quelques uns des principaux tenants d’une récolte qui se veut éthique.

«Par exemple, quand vous tombez sur un patch de champignons, il vaut mieux ne prendre que ceux qui sont matures et laisser les plus petits, qui sont encore jeunes pour qu’ils puissent continuer à pousser, » [traduction] explique Den Langor.

S’accompagner d’habitués

Avant toute chose, être certain de la comestibilité des aliments ramassés est primordial. «Au moindre doute pour identifier une espèce, il ne faut surtout pas la consommer. Pour les débutants, l’idéal est d’être accompagné d’une personne plus expérimentée pour se familiariser avec les plantes, » [traduction] recommande le trentenaire.

Justement, ce dernier propose en temps normal des visites en forêts pour partager ses connaissances, acquises à travers ses nombreuses lectures et explorations en nature. «Habituellement, j’organise des tours d’environ cinq heures pour des petits groupes. Je leur montre comment identifier et récolter les champignons, et on les déguste directement sur le feu. » L’exploration peut se faire partiellement en français, puisque le cueilleur maîtrise suffisamment la langue grâce à son passage par l’immersion française.

Vu du dessous, le fameux pied-de mouton ou hedgehog en anglais, pour hérisson, à cause de son hyménium (couche qui produit les spores), composé de petits aiguillons. Crédit : Courtoisie de Den Langor

Restaurants friands de produits sauvages

Si ces tours sont bien sûr suspendus cet été à cause du Coronavirus, le Terre-Neuvien en profite pour terminer la création de son site Internet, dont la mise en ligne est prévue ce mois-ci. La vente en ligne lui permettra d’étendre son marché au-delà de Terre-Neuve.

Den Langor, qui forage surtout dans la péninsule d’Avalon, vend habituellement ses produits aux restaurants de la ville de St. John’s. Hungry Heart Cafe, Yellow Belly, Bernard Stanley, Gypsy Tea Room, Chinched Bistro ou encore Lester’s Farm sont entre autres des commerces qui le soutiennent en achetant ses produits sauvages. «Je leur en suis vraiment reconnaissant, ils sont de très bons
clients et appuient mes efforts. » [traduction]

Chasse au trésor sauvage dans les bois

Il est également très actif sur la page Facebook Newfoundforage, créée il y a trois ans, et qui a presque atteint les 1000 membres ces derniers mois. Est-ce la pandémie qui a amené plus de personnes à s’intéresser au foraging? Chacun y va, en tout cas, de ses trouvailles dans la forêt et partage ses idées de recette.

Den Langor y a récemment lancé une chasse au trésor, la Forager Scavenger Hunt. Les participants ont jusqu’à la fin septembre pour envoyer leurs photos d’une soixantaine de produits sauvages aperçus pendant leur exploration en forêt. Menthe sauvage en fleur, large langue de morue ou encore champ de pissenlit font partie des choses à photographier pour avoir la chance de remporter différents prix, prochainement annoncés.« Le grand prix implique un voyage, » annonce l’organisateur.

Trésors sauvages

L’événement est un bon moyen de marquer le début de la saison de la récolte sauvage, qui commence habituellement en mai. Thé du labrador, baies de genévrier, chatons d’aulnes sont les premiers à se retrouver dans les paniers des cueilleurs, suivis plus tard par les jeunes pousses d’épinettes, délicieux en vinaigrette, enrobés de chocolat ou dans du pain.

Les chanterelles sont visibles aux environs de juillet dans les bois de la péninsule d’Avalon. Crédit : Courtoisie de Den Langor

Sur la péninsule d’Avalon, la saison des champignons débute aux alentours de la fête du Canada, avec différentes espèces de chanterelles, de Pieds-de-mouton (les fameux hedgehog en anglais) et s’étend jusqu’à l’automne.

La morille est plus rare dans ce coin de l’île, tout comme le chaga, un champignon qui pousse comme parasite sur les bouleaux; ces espèces sont plus abondantes sur la côte ouest. Le chaga, principalement récolté en hiver, ainsi que les champignons séchés permettent à Den Langor d’avoir des produits à l’année longue.

Le passionné pourrait continuer de parler pendant des heures avec nous de tous les trésors sauvages qui se cachent dans les forêts, les rivières, et l’océan de la grosse Roche, mais il doit raccrocher : quatorze heures, le soleil pointe le bout de son nez, il repart dans les bois pour forager.


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