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Légalisation du cannabis : revanche de la prohibition en vue?

Que se passera-t-il entre les rives de Terre-Neuve et de Saint-Pierre et Miquelon le 17 octobre 2018, jour de la légalisation du cannabis au Canada? Verrons-nous arriver des hordes de touristes venus de l’archipel français pour griller un joint, sans c

Que se passera-t-il entre les rives de Terre-Neuve et de Saint-Pierre et Miquelon le 17 octobre 2018, jour de la légalisation du cannabis au Canada? Verrons-nous arriver des hordes de touristes venus de l’archipel français pour griller un joint, sans craindre les gendarmes? Le trajet se fera-t-il en sens inverse par une nouvelle génération d’exportateurs ayant humé les bonnes affaires possibles avec les insulaires voisins?   

Les réponses journalistiques viendront plus tard. Dans l’intervalle, place à la prose-fiction de notre collaboratrice à Saint-Pierre et Miquelon, Anaïs Hébrard.  

Fumées insulaires

Nous sommes le 17 octobre 2018, à Fortune, Terre-Neuve-et-Labrador. Le quai fourmille. Une intense activité se déploie. Des camions de livraison se succèdent en un long serpent qui s’étire jusqu’à Grand-Banc. Vifs et fluo, les logos arborent une magnifique feuille dentelée à cinq doigts. Quelques fourgonnettes transportent des palettes de pâtisseries, muffins kaki, cupcakes couronnés de glaçage caca d’oie, tartelettes aux couleurs olive-marron d’Inde.

On parle fort, on se hèle, on échange sur ce nouveau marché qui s’ouvre miraculeusement grâce à la nouvelle loi canadienne. Les poignées de dollars se comptent par liasses. Elles passent de mains en mains, leurs propriétaires sont tout excités de leur épaisseur. Un vent de bonne humeur souffle entre les amarres des bateaux qui n’attendent que le top départ de leur cap’tain pour s’élancer dans les flots.

Les caisses de bois estampillées Best Pot s’amoncellent sur le port. L’Al Capone local, bootlegger aguerri, compte les colis, son carnet de notes à la main. C’est que le marché va certainement être très juteux. Les commandes ont déjà été lancées et il suffit d’une bonne dose de ruse – celle dont ont fait preuve les ancêtres – pour que le trafic fleurisse sans tarir entre les deux régions.

Le champagne, le whisky et le cognac ont coulé à flot dans les années 30. Pourquoi l’extase distillée dans des volutes de fumée bleutée ne serait pas exportée vers les voisins français, comme le fut l’alcool au temps du sinistre Volstead Act? Juste retour des choses, non? Après tout, pourquoi la légalisation du cannabis au Canada ne permettrait-elle pas quelques libertés avec la France d’à côté? La main sur le cœur, les Français n’ont-ils pas juré, lors de la période bénie de la prohibition, que la vente d’alcool à destination des Nord-Américains était tout sauf défendue? Commerce moyennement moral? Qu’à cela ne tienne, qui ne tente rien n’a rien!

Que de fantaisies

Hélas, la cargaison ne partira pas cette nuit. La météo n’affiche aucun nuage, impossible de compter sur la brume pour se faufiler entre les mailles du filet tendus par les Français. La lune est pleine. Les douaniers de l’île voisine sont aux aguets. Dès la frontière franchie, les autorités tricolores vont se lancer à l’assaut des bateaux étrangers.

Inutile de naviguer, comme au début du XXe siècle, avec des steamers prêts à enfumer leur embarcation pour disparaître dans le brouillard. En presque un siècle, les méthodes ont évolué et il est quasi impossible de passer inaperçu sur ce bras de mer. Les lampes infrarouges sont prêtes à dénoncer les Mandrin des temps modernes.

Et puis, s’il était facile pour les ancêtres de récupérer des bouteilles de rhum coulées lors des arraisonnages, on ne peut pas affirmer la même chose d’une cargaison d’herbe. Cette dernière, immergée, se gorgerait d’eau et se mêlerait aux algues des fonds marins. Les miettes des biscuits nourriraient les morues qui se mettraient à danser le tango sur les coraux. Les goélands troqueraient leur cri strident contre des mélodies inspirées des Pink Floyd. Le pâté d’oursin, prisé par les habitants de la côte, deviendrait hallucinogène.

Le homard, que l’on assomme en Suisse avant cuisson afin qu’il ne souffre pas, serait naturellement anesthésié après avoir dégusté quelques feuilles de marijuana perdues dans le ressac franco-canadien. Cette méthode n’est-elle pas utilisée par un restaurant du Nouveau-Brunswick pour éviter d’inutiles souffrances au délicieux crustacé? Enfin, peut-être que les plongeurs en visite sur d’antiques goélettes reviendraient de leurs excursions plongés dans une humeur extatique et contagieuse, transformant l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon en un havre de bonne humeur.

Enfin, les îles, encerclées de psychotropes effluves, se loveraient dans un sommeil profond, façon Belle au bois dormant. Une catastrophe!

Que se passera-t-il, du côté français, le 17 octobre 2018, date de la légalisation du cannabis au Canada? Mystère. L’avenir nous le dira.

Un texte d’Anaïs Hébard, collaboratrice du Gaboteur à Saint-Pierre et Miquelon, publié dans l’édition du 8 octobre 2018.

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