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L’écart se creuse au Canada en matière de pauvreté infantile

Près d’un enfant sur cinq vivrait en situation de pauvreté au Canada d’après le plus récent rapport annuel de l’organisme Campagne 2000. Se basant sur des données de 2019, le Rapport sur la pauvreté des enfants et des familles au Canada 2021 révèle qu’au rythme actuel, il faudra 54 ans pour mettre fin à la pauvreté infantile.

Ericka Muzzo

Francopresse

Face à la moyenne nationale de 17,7% de mineurs en situation de pauvreté, le Yukon (11,8%) et le Québec (13,9%) se démarquent tandis que le Nunavut (34,4%), la Saskatchewan (28,4%) et le Manitoba (26,1%) font piètre figure. 

Une carte interactive indiquant le taux de pauvreté infantile dans chaque circonscription fédérale au pays révèle que c’est dans Churchill—Keewatinook Aski, au Manitoba, que la situation est la plus critique: 64% des enfants y vivent sous la Mesure de faible revenu de la famille de recensement après impôt (FRMFR-ApI).

La circonscription de Desnethé–Missinippi–Rivière Churchill, en Saskatchewan, suit de près avec 58%. 

Cela ne surprend pas la directrice de Campagne 2000, Leila Sarangi, puisque plusieurs familles autochtones vivent dans ces circonscriptions et qu’elles sont particulièrement touchées par la pauvreté infantile: «Lorsqu’on regarde qui vit avec un taux de pauvreté plus élevé, les Premières Nations, les enfants vivant dans les réserves, 53% vivent dans la pauvreté. Les Inuits, les Métis, les immigrants racialisés et les familles monoparentales ont tous des taux de pauvreté infantile significativement plus élevés, tout comme les enfants handicapés.»

Lancé en 1991, Campagne 2000 «est un mouvement d’éducation publique pancanadien visant à sensibiliser les Canadiens et à obtenir leur appui à la résolution adoptée en 1989 par tous les partis à la Chambre des communes, qui visait à mettre fin à la pauvreté des enfants au Canada d’ici l’an 2000».

Taux de pauvreté infantile au Canada (moins de 18 ans). Photo: Rapport 2021 de Campagne 2000

Calcul du seuil de pauvreté

«Le présent rapport mesure la pauvreté en utilisant la Mesure de faible revenu de la famille de recensement après impôt (FRMFR-ApI), qui correspond à 50% du revenu médian d’une famille d’une certaine taille. Il s’agit d’une mesure relative de la pauvreté qui surveille les variations dans les conditions de vie et compare les conditions de vie des personnes et des familles à faible revenu à celles du reste de la société.»

«Le seuil officiel de pauvreté au Canada est celui de la Mesure du panier de consommation (MPC) […] L’Enquête canadienne sur le revenu est la source de données de la MPC. Cette enquête repose sur un petit échantillon et, par conséquent, elle est sujette à un plus grand nombre d’erreurs d’échantillonnage. Aussi, elle exclut beaucoup de groupes dont les taux de pauvreté sont élevés, comme les personnes vivant dans les territoires et les membres des Premières Nations vivant dans une réserve.»

Près d’un enfant sur cinq vivrait en situation de pauvreté au Canada d’après le plus récent rapport annuel de l’organisme Campagne 2000. Photo: Charlein Gracia (Unsplash)

La pauvreté infantile augmente dans certaines régions

Leila Sarangi s’inquiète aussi du fait que, pour la première fois depuis 2012, «les enfants des familles qui sont dans la pauvreté sont encore plus pauvres. L’écart qui les sépare du seuil de pauvreté s’est creusé davantage».

La coautrice du rapport note également que si le taux national de pauvreté infantile a diminué de 0,5% entre 2018 et 2019, celui de Terre-Neuve-et-Labrador, du Yukon et du Nunavut a plutôt augmenté – une tendance également observée dans les années précédentes par l’organisme Campagne 2000.

«Cela démontre que les gouvernements provinciaux et municipaux doivent vraiment passer à la vitesse supérieure et mettre en place des programmes appropriés en matière de logement, de garde d’enfants et d’aide au revenu», soutient Leila Sarangi, qui souhaiterait aussi voir plus de transparence des provinces par rapport au Transfert canadien en matière de programmes sociaux (TCPS).

Le gouvernement définit ce dernier comme un «transfert fédéral en bloc aux provinces et aux territoires pour soutenir l’éducation postsecondaire, l’aide sociale et les services sociaux, ainsi que le développement de la petite enfance et l’apprentissage et la garde des jeunes enfants». Or, Leila Sarangi déplore que les provinces n’aient «pas de comptes à rendre» quant à l’efficacité des programmes mise en place grâce à ces fonds.

Leila Sarangi est la directrice générale de Campagne 2000, un organisme dont la mission est d’éradiquer la pauvreté infantile et auquel participent plus de 120 partenaires nationaux, communautaires et provinciaux. Photo: Courtoisie Leila Sarangi

COVID-19: une baisse, puis une hausse

Le rapport de 2021 se base sur des données qui précèdent la pandémie. Pour le prochain rapport, qui prendra en compte les mesures fiscales mises en place par le gouvernement fédéral en réponse à la COVID-19, Leila Sarangi s’attend une diminution un peu plus accentuée du taux de pauvreté infantile.

«La Prestation canadienne d’urgence, je pense qu’environ 75% de cette somme a été versée à des personnes à faible revenu qui ont perdu leur emploi et qui ont eu accès à cette allocation. Mais lorsque vous travaillez à temps partiel ou de manière précaire, ces 2000$ par mois représentent plus que ce que vous gagneriez en travaillant au salaire minimum», relève la directrice de Campagne 2000.

Néanmoins, elle prévoit que «dans les années qui suivront, le taux de pauvreté infantile augmentera à nouveau parce qu’il n’y a pas vraiment eu d’investissements susceptibles de changer la donne pour les familles à très faible revenu». 

Leila Sarangi mentionne à titre d’exemple le programme national de garderies à 10$ par jour du gouvernement fédéral: «La réduction de 50% des frais de garde d’enfants est un programme destiné à la classe moyenne qui n’a pas d’incidence sur les familles dont nous parlons. Même une garde d’enfants à 10$ par jour n’est pas abordable pour les familles dont nous parlons», déplore-t-elle.

Des opportunités dans l’année à venir

À son avis, la stagnation du taux de pauvreté infantile continuera tant que le budget de base accordé par le gouvernement fédéral ne sera pas bonifié. 

La directrice de Campagne 2000 note qu’en 2015, l’instauration de l’Allocation canadienne pour enfants (ACE) «a vraiment contribué à relever toutes ces familles qui se trouvaient juste sous le seuil de pauvreté». D’autres programmes instaurés en 2017 ont aussi permis d’améliorer la situation de plusieurs familles, «mais depuis, le montant de référence ne fait qu’augmenter en raison de l’inflation» sans que les fonds d’aide ne suivent.

«C’est comme si le gouvernement se disait: “Nous avons mis en place l’Allocation canadienne pour enfants, nous avons créé la première Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté, nous avons fait ce que nous avions à faire en matière de pauvreté et maintenant on passe à autre chose”», regrette Leila Sarangi, qui dénonce aussi que «les objectifs fixés par le gouvernement fédéral dans cette stratégie sont extrêmement bas».


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La lueur d’espoir réside pour elle dans le fait que la pandémie a exposé que «le gouvernement peut bouger très rapidement. […] La crise a aussi mis en évidence de véritables lacunes de nos systèmes et nous ne pouvons plus fermer les yeux, et le gouvernement ne peut plus fermer les yeux et donner des excuses, ce qui crée beaucoup d’opportunités pour nous dans l’année à venir».

«Je pense que si le gouvernement ne saisit pas cette opportunité pour résoudre certains de ces problèmes, cela créera des problèmes non seulement dans les prochaines années, mais aussi pour cette génération qui grandit dans une pandémie. Cela aura des effets à long terme sur leur santé mentale et d’autres types d’impacts auxquels nous devons vraiment penser tout de suite», termine Leila Sarangi.

Au total, le rapport propose 60 recommandations «portant sur les inégalités, la sécurité du revenu, le logement, les services de garde à l’enfance, le travail décent et les soins de santé» pour lutter contre la pauvreté infantile. Des rapports provinciaux et territoriaux sont également disponibles sur le site Web de Campagne 2000.

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