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L’histoire de la communication «coupée» pour les Franco-terreneuviens

Si l’histoire des Franco-Terreneuviens raconte une histoire d’isolement et d’assimilation, dont les vestiges sont toujours présents aujourd’hui, il est impératif de la reconnaître. À force de se remémorer les difficultés éprouvées par ce peuple dans le passé, j’espère que les politiques futures de la province feront en sorte que ces traditions francophones ne disparaissent jamais.

Nick Lasaga

(Étudiant au Département des langues, littératures et cultures modernes de l’Université Memorial – dans le cadre du cours sur les médias)

Il me semble, ou plutôt il est évident pour moi, qu’on donne toujours la priorité aux anglophones  même avant de penser autrement. En réfléchissant à l’histoire des Franco-Terreneuviens, je me demande si le gouvernement provincial demandera un jour pardon pour l’assimilation forcée de ma culture.

Après la fin de la présence officielle de la France à Terre-Neuve en 1904, c’est comme si le fait francophone avait également quitté l’île, ou qu’il avait été refoulé. La région a commencé à se moderniser, mais la langue de mes ancêtres, elle, a été oubliée, effacée.

La Parole de Dieu, en anglais 

Je suis presque certain que n’importe qui de la Baie Saint-Georges connaît bien cette histoire d’horreur, cette force de l’anglicisation qu’imposait l’église. À travers cette institution, la culture anglaise a vraiment commencé à inonder la vie des Franco-Terreneuviens. 

Avec l’apparition d’un nombre croissant d’églises et de prêtres anglophones répandant la Parole de Dieu le long de la côte ouest, la religion et l’éducation sont devenues synonymes d’assimilation et d’effacement de la langue française. 

Les églises ne se sont pas adaptées à ceux qui parlaient français, et l’anglais était la langue privilégiée. Malgré la présence de plusieurs prêtres francophones à la Baie Saint-Georges, comme le missionnaire québécois Aléxis Bélanger, la Parole de Dieu ne voyait que les rayons anglais, aussi forts et aveuglants que les rayons de soleil.

Une telle anglicisation faite par l’église semble difficile à croire, n’est-ce pas? Les histoires que mes grands-parents et arrière-grands-parents m’ont racontées sur l’église sont la preuve que l’assimilation forcée est tout sauf sainte.

C’est tout un paradoxe. Le comportement de ces religieuses qui ont enseigné à mes grands-parents ne colle pas à l’attitude qu’on attend d’elles. Au lieu d’aimer son prochain, ces sœurs punissaient ceux qui parlaient français.

Une des victimes de ce châtiment particulier a été mon grand-père qui venait d’une famille francophone: ses deux parents, d’origine bretonne, parlaient français. Il m’a dit un jour qu’il avait subi des châtiments sévères quand il tentait de réapprendre la langue maternelle de ses parents. Il s’est fait fouetter par des nonnes à chaque fois qu’il prenait l’initiative de se plonger dans son monde français, en tentant désespérément de retrouver ses racines qui étaient déjà plantées au sein de son cœur. 

Même mes arrières-grands-parents eux-mêmes ont craint cette punition de l’église, à tel point qu’ils se sentaient obligés de donner à leurs enfants des prénoms anglais. Dans ma famille, il y a mon grand-père Ronald (au lieu de René), mon oncle William (au lieu de Guillaume), et ma tante Madonna (au lieu de Madone). On a vraiment coupé non seulement la communication en français, mais même leurs façons de penser leur propre identité personnelle et leur propre nom.

Vue sur la ville de Stephenville. Photo: Wikimedia Commons

Un boom économique qui décolle en anglais 

À partir du moment où la Grande-Bretagne a signé un accord au gouvernement des États-Unis afin d’établir une base militaire américaine à Stephenville en 1941, on a changé les coutumes de telle manière que l’anglicisation a rapidement dominé dans la ville, afin d’accommoder les troupes américaines et donc anglophones.

Malgré le boom économique que les Américains ont apporté à la région, la disparition de la langue française s’est rapidement fait ressentir. Avant l’établissement de la base, environ 95% des habitants d’une population d’environ 1300 personnes à Stephenville s’identifiaient comme francophone. Dans les années 1960, soit près de vingt ans plus tard, il n’y en avait plus qu’environ 690 au total sur une population de 11 000 personnes, soit environ 6%, qui se disaient francophones. 

Une telle base était certes nécessaire d’un point de vue économique. Elle a amené avec elle des gens, des emplois et de l’argent. Mon arrière-grand-père était lui-même un Américain de Manhattan qui a vécu à temps plein aux alentours de Stephenville depuis l’âge de 15 ans.

Mon arrière-grand-mère, elle-même francophone acadienne, a pu elle aussi trouver un emploi. Grâce à son stage en entreprise à la base militaire, elle a pu acquérir de l’expérience pour travailler à l’hôtel Cormier que possédait sa mère.

Malheureusement, ce n’était pas le cas pour tous les francophones. En fait, la langue française a pratiquement disparu comme langue maternelle suivant la construction de la base militaire. La présence d’une population anglophone voulait dire qu’apprendre l’anglais (et savoir le parler à tout moment) était la condition sine qua non chez les francophones pour avoir une vie en dehors de la maison. Malgré l’argent gagné dans la région, la langue française n’a pas pu prospérer dans le monde du travail, n’a pas pu prospérer; au contraire, elle devenait un obstacle à la prospérité dans un environnement décidément anglicisé.

La lutte pour du réseau

Bien que le français soit davantage célébré dans la province aujourd’hui, La Grand’Terre et Trois Cailloux et leur langue font face à des défis différents. Par exemple, ces communautés francophones n’ont pas eu accès aux réseaux cellulaires et ce jusqu’en 2020. Pensez-y! Jusqu’en 2020!

Avant l’accès au réseau cellulaire, un homme, en pleine forêt, qui s’était gravement blessé en utilisant sa tronçonneuse, n’avait aucun moyen d’appeler à l’aide. Il n’était pas seul. Il y a eu de nombreux autres cas urgents où l’on avait besoin d’assistance à la grande montagne entre Cap Saint-Georges et La Grand’Terre en temps de tempête. 


Photo: Courtoisie Nick Lasaga

Derrière la plume: Nick LaSaga

Je m’appelle Nick LaSaga et je suis actuellement étudiant au Département des langues, littératures et cultures modernes de l’Université Memorial. Je viens d’une petite communauté, Saint-Georges, qui se situe à peu près à 25 kilomètres de la ville de Stephenville, qui a été pendant longtemps une communauté francophone. Au fur et à mesure que je grandissais, je me suis tant intéressé à la langue française, sachant que c’était la langue maternelle de presque tous mes arrière-grands-parents qui avaient habité ces terres. 

Malgré la longue histoire de la langue française à Terre-Neuve-et-Labrador et sa grande influence sur la province que nous connaissons aujourd’hui, l’assimilation forcée de mes ancêtres n’a laissé derrière elle que quelques vagues vestiges de leur culture; vestiges que j’essaie tant bien que mal de préserver.

Pendant longtemps, la voix des Franco-terreneuviens a été réduite au silence. Mais pour moi, le français me touche au cœur – il me fait ressentir une sorte de nostalgie et d’empathie pour les traumatismes vécus par les différentes générations de ma famille. 

Comme un casse-tête auquel il manque un morceau, la véritable image de Terre-Neuve-et-Labrador ne sera complète que lorsque l’histoire des minorités linguistiques sera reconnue et célébrée. C’est pour ça que je trouve si important de partager mon amour du français avec vous!


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