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Le projet de sentier polyvalent Kelly’s Brook

L’idée d’aménager une piste commune fermée à la circulation automobile qui traverserait la capitale de Terre-Neuve-et-Labrador n’est pas bien accueillie par tous, mais nécessaire selon certains.

Coline Tisserand (INITIATIVE DE JOURNALISME LOCAL – APF – ATLANTIQUE)

C’est l’idée du Kelly’s Brook Shared-Use Path, le premier projet catalyseur du plan directeur sur le cyclisme de la ville de St. John’s, le Bike St. John’s Master Plan. Ce plan, approuvé en 2019, vient remplacer les tentatives échouées d’un premier plan vélo datant de 2007. Le manque de consultation sur ce dernier avait mené à concevoir des itinéraires de pistes cyclables non adaptés aux utilisateurs potentiels.

Corridor réactif pour le transport actif

Le but du projet est d’améliorer le sentier actuel Kelly’s Brook, qui est en gravier seulement, et uniquement pour les piétons, en l’asphaltant pour le rendre accessible à toute personne en transport actif.

Cette piste de 4,8 kilomètres s’étendant de King’s Bridge Road à Columbus Drive deviendrait donc un corridor récréatif permettant de relier plusieurs quartiers et plusieurs parcs, mais aussi des destinations populaires comme le marché fermier de la ville et les terrains de jeux pour enfants.

Le financement de 2,25 millions $ a été approuvé en octobre dernier – la moitié est financée par le gouvernement fédéral, le tiers par la province et l’autre 17% par la Ville de St. John’s. Les travaux devraient commencer en 2021. Des consultations publiques, entamées à la fin janvier, se déroulent jusqu’au 21 février afin d’interroger les résidents sur divers aspects du sentier. Tout a donc l’air d’aller dans la bonne direction… du moins sur papier.

Itinéraire proposé (violet) et itinéraire alternatif (rose) du sentier polyvalent Kelly’s Brook. Les résidents peuvent proposer et ajouter des points d’intérêts (aire de repos, porte-vélos) sur une carte interactive en ligne. Photo: Site Internet Engage St. John’s (Capture d’écran)

Avis partagés

Les avis sont cependant partagés sur la question. La pétition «Protégez nos sentiers» lancée il y a trois mois recueille aujourd’hui plus de 5000 signatures de gens opposés à ce premier projet et les deux prochaines phases*. Plusieurs signataires, dont certains promeneurs réguliers, craignent de voir leur sentier en nature abîmé par l’asphalte qu’on compte y apposer et se plaignent de devoir le partager avec des cyclistes qu’ils considèrent être dangereux.

Piétonne et cycliste depuis 30 ans à St. John’s, Elizabeth Yeoman, s’est dite tout d’abord contente quand elle a appris que ce projet serait financé. «Je me suis dit ‘”enfin, quelque chose est fait pour le transport actif”! Ensuite, j’ai réalisé que les gens étaient divisés sur ce projet et opposés les uns aux autres. C’est décourageant.»

Cyclistes en danger

Réalisatrice d’un documentaire sur le manque de déneigement des trottoirs en hiver, Elizabeth Yeoman a également créé en 2019 le groupe Facebook Active and Accessible Transportation NL (Transport actif et accessible TN), qui compte aujourd’hui presque 200 membres. Le groupe vise à promouvoir un meilleur transport actif et accessible ainsi qu’à faire pression sur les autorités.

Dans une de ses publications sur ce groupe, elle offre un contre-argument à ceux qui s’inquiètent de la sécurité des piétons, enfants, aînés et personnes avec un handicap, face aux vélos. «En réalité, beaucoup de cyclistes sont des enfants, des aînés et des personnes avec un handicap», dit-elle. «Plusieurs autres voudraient utiliser leur vélo s’il y avait des routes sécuritaires. Les pistes pavées vont aussi permettre aux personnes en fauteuil roulant d’utiliser ces sentiers.»

Elle remarque d’ailleurs que beaucoup de cyclistes sont actuellement obligés d’être sur les trottoirs pour pouvoir rouler à vélo en toute sécurité. «Les conducteurs ne font pas attention aux cyclistes, c’est dangereux. J’ai moi-même failli me faire frapper par une voiture. Depuis, je n’ai pas le choix, je roule parfois sur les trottoirs.»

 

Elizabeth Yeoman. Photo: Courtoisie

María Andrée López, cycliste été comme hiver – car le vélo est le principal moyen de transport à sa disposition – se dit elle aussi particulièrement effrayée sur les routes de St. John’s. Bénévole à la coopérative communautaire de vélo Ordinary Spokes, la cycliste pense emprunter la future piste cyclable comme loisir, mais compte bien garder ses trajets habituels sur la route quand elle doit se déplacer plus rapidement.

Selon elle, plutôt que d’exclure les cyclistes, il faudrait les intégrer à la circulation. Elle s’appuie sur son expérience de vie à Boston. «Au début, on était très peu de cyclistes. Quand des bandes cyclables ont été installées, la ville s’est remplie de cyclistes!», raconte-t-elle.

María Andrée López. Photo: Courtoisie

Plus simple et abordable

María Andrée López trouve que les consultations publiques sur le sujet mettent trop l’accent sur le côté pittoresque plutôt que sur l’aspect fonctionnel et utilitaire du sentier. «Il y a beaucoup de discussions, mais ce n’est que pour une toute petite partie accessible pour les vélos. Il faudrait commencer par quelque chose de plus abordable et plus simple à réaliser: peindre des bandes cyclables directement sur les routes.»

Selon elle, plutôt que d’exclure les cyclistes, il faudrait les intégrer à la circulation. Elle s’appuie sur son expérience de vie à Boston. «Au début, on était très peu de cyclistes. Quand des bandes cyclables ont été installées, la ville s’est remplie de cyclistes!», raconte-t-elle.

Penser au transport actif global

Et si les controverses d’aujourd’hui venaient d’un manque de consultation globale lors de la préparation du plan vélo de 2019? Lors du groupe de travail du 10 février sur le projet, auquel Elizabeth Yeoman participait, on a constaté que seuls les cyclistes avaient été consultés pour ce plan vélo de 2019. «J’appuie le sentier Kelly’s Brook, mais je pense qu’il faudrait un plan plus global, qui intègre aussi le problème des trottoirs non déneigés, les piétons, les personnes à mobilité réduite, les transports en commun, les autobus. Il faut penser au transport actif dans sa globalité.»

María Andrée López acquiesce: «Il faut penser global. La voie piétonne mise en place pendant l’été dernier est un bon exemple. Il n’y a pas d’espaces sociaux dans la ville, la voiture renforce l’individualisme. Une ville accessible à tous à de nombreux avantages pour les entreprises, la santé, la vie sociale et la sécurité.»

Consciente elle aussi de cette culture de l’automobile, Elizabeth Yeoman se dit que rien ne changera tant que cette culture prévaudra à St. John’s. Selon elle, ce sont les jeunes et les personnes à mobilité réduite qui doivent défier cette culture bien ancrée. «J’ai une lueur d’espoir que le projet de Kelly’s Brook soit fait comme il faut et que les gens découvrent et réalisent l’importance du transport actif dans sa globalité.» Affaire à suivre donc.

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