Autochtone, Société, Tous

La réconciliation par l’introspection

Le 27 janvier 2022 s’est tenu en ligne un événement consacré aux pensionnats autochtones de la province. La conférence virtuelle, intitulée «Reconciliation and Residentials Schools in Labrador», a été animée par Dr Andrea Procter, anthropologue et chercheuse indépendante. Après avoir présenté l’historique de la colonisation au Labrador et la colère et la souffrance des Inuits provoquées leur expérience dans les pensionnats, la chercheuse affirme que seule une attitude introspective et engagée face à l’histoire troublante du colonialisme au Labrador peut permettre la réconciliation avec les peuples inuits.

David Beauchamp

IJL – Réseau.Presse – Le Gaboteur

La conférence débute avec ce qui est devenu d’usage au Canada: une reconnaissance des terres ancestrales et un appel à la réconciliation et au dialogue. Cette pratique s’est vite suite à la publication du rapport de la Commission de vérité et de réconciliation au pays, mais pour les Autochtones qui ont vécu les pensionnats, de simples mots sont insuffisants face aux dégâts causés par les pensionnats et par l’absence de reconnaissance de leur histoire. 

Pendant sa conférence tenue fin janvier, Dr Andrea Procter, autrice du livre A Long Journey: Residential Schools in Labrador and Newfoundland, présente les raisons de cette insuffisance.

Le pensionnat Nain Residential School Photo: Archive Them Days

La réconciliation par la reconnaissance

L’anthropologue commence son exposé en parlant du devoir de mémoire. Pour elle, la partie essentielle de la réconciliation est de reconnaître le passé (et le présent) colonial pour repenser nos propres perspectives. Après avoir publié un récit historique sur les six pensionnats de Terre-Neuve-et-Labrador à travers les témoignages d’anciens élèves en septembre 2020, elle plonge plus profondément dans le sujet. 

Sa question essentielle: «Comment utiliser ce savoir pour devenir de meilleures personnes?» 

Bien qu’il soit facile de condamner les autres et d’adopter une position paresseuse pour être «du bon côté de l’histoire», selon la chercheuse, cette position ne nous encouragerait pas à faire preuve d’introspection et de reconnaître les erreurs du passé. Un premier pas: il faut regarder l’histoire de la colonisation à Terre-Neuve et au Labrador pour ce qu’elle est.

Quand Terre-Neuve-et-Labrador est devenu une province canadienne en 1949, il n’y avait aucune mention des Autochtones dans les conditions de l’union. Ainsi, la Loi sur les Indiens, adoptée pour la première fois par le gouvernement fédéral en 1876, ne sera pas appliquée dans la province jusqu’en 1980, lorsque les revendications des Mi’kmaq de Conne River seront finalement reconnues devant les tribunaux.

Malgré ce vide juridique sur le territoire de la province, les ordres missionnaires et les pensionnats ont opéré de manière similaire à ce qui se faisait ailleurs au pays.

Le pensionnat St. Mary’s River School. Photo: Archives The Rooms

L’Église morave et le Dr. Grenfell

Les pensionnats et les écoles étaient administrés par deux organisations principales: l’ordre religieux des Frères moraves et la International Grenfell Association (IGA), une association visant à offrir des soins médicaux en plus de donner accès à une éducation générale aux enfants inuits. L’association est fondée officiellement en 1914 par le chirurgien et missionnaire britannique Dr. Wilfred T. Grenfell qui avait déjà passé plus de 20 ans au Labrador pour y prodiguer des soins de santé et éduquer les enfants inuits. 

Pendant la conférence, Procter décrit le Dr. Grenfell comme quelqu’un qui n’hésitait pas à sortir les enfants de leur communauté. À propos du nombre d’enfants qu’il envoyait chez des familles américaines ou britanniques ou à l’Orphelinat de St. Anthony, elle le cite: «Dans mon enfance, je collectionnais des timbres, des papillons et des œufs d’oiseaux. Quand nous avons navigué jusqu’au Labrador cependant… j’ai commencé à collectionner des enfants» [traduction libre]. 

Grenfell, tout comme les religieux de l’Église morave, n’hésitait pas à prendre des décisions drastiques pour les Inuits quant à leur avenir pour qu’ils deviennent «heureux et épanouis». Ceci passait notamment par le fait de les voir en grand nombre dans les écoles et les pensionnats.

La colonisation par l’éducation

Selon l’anthropologue, les pensionnats servaient de «lieux de négociations et de conflits entre les communautés inuites et [ces organisations]». Pour le peuple autochtone, les établissements scolaires ne sont pas un concept nouveau: les origines de la présence européenne et de leurs écoles remontent jusqu’au 18e siècle. D’ailleurs, à partir de cette époque, les Frères moraves enseignaient aux enfants en inuktitut, ce qui, pour certains Inuits présents lors de la conférence, comme Mary Sillett, a permis de conserver leur langue maternelle. 

Les Inuits ont accordé leur confiance à ces institutions, les seules qui donnaient une instruction et des services éducatifs aux enfants de la région. Cependant, les Inuits ont toujours été en désaccord avec le modèle des pensionnats et l’idée de voir leurs enfants éloignés pendant des mois, voire des années. Avoir les enfants à la maison après l’école leur aurait permis de garder un lien familial et culturel fort en plus de pouvoir leur transmettre les savoirs et les valeurs inuits. 

Du côté de l’Église morave et de l’IGA, ils ne voyaient pas les Inuits comme leurs égaux. Selon les recherches de Procter, les missionnaires et le personnel de l’association entretenaient l’idée que les parents inuits étaient pauvres spirituellement et trop «sales» et indignes pour éduquer les enfants. Le rôle éducatif de ces deux institutions était donc conçu en vue de «protéger» les enfants de la pauvreté et de leur propre culture, jugée impure. 

«C’est pour votre bien» la défense des organisations

Une des manières dont les Frères moraves et l’IGA mesuraient le succès de l’éducation qu’ils donnaient était de savoir «à quel degré les enfants ont “changés” lors de leurs passage aux pensionnats». Ils se fiaient, entre autres, à l’incapacité de la famille de se connecter avec l’enfant, considéré comme un succès puisqu’il aurait adopté des valeurs et des comportements plus «civilisés».

L’hygiène corporelle était souvent un prétexte pour juger du caractère inférieur des Inuits. Plusieurs pensionnats ont instauré des principes de discipline dont l’hygiène personnelle était un des piliers. Ils devaient être adoptés collectivement par les Inuits par la suite grâce au retour des enfants dans leurs familles.

Les deux organisations utilisent toujours aujourd’hui leur contribution pour l’éducation des Inuits pour se défendre de leurs mauvais traitements. Ces derniers se sentaient pris au piège, puisqu’ils se sentaient obligés d’être reconnaissants envers les Européens pour «leurs efforts et leur argent». Cette structure faisait en sorte que les Inuits ne pouvaient pas critiquer ouvertement le traitement qu’ils ont subi, et ce jusqu’à très récemment. 

La conférence, menée par Dr. Andrea Procter, est accessible en ligne sur le site web de la Société historique de Terre-Neuve-et-Labrador (www.nlhistory.ca) ou sur YouTube sur le lien suivant: https://www.youtube.com/watch?v=ntxR1VEOoDQ. Capture d’écran: Cody Broderick

«Nous avons tous un rôle à jouer» 

La conférencière souligne qu’historiquement et actuellement,  «nous avons tendance à nous positionner comme témoins innocents, ce qui reproduit les comportements des [institutions] qui se voyaient comme des bonnes personnes et donc incapable de faire du mal aux Inuits.» . 

«Aujourd’hui, nous faisons du mal en assumant l’autorité sur des peuples ou en nous concentrant sur leurs faiblesses».

Pour l’anthropologue, le but ultime de la réconciliation est de créer un nouveau cadre de relations sain avec les Inuits (et tous les Autochtones) sans leur causer de violences en plus d’éliminer les rapports de pouvoir coloniaux qui continuent de s’imposer sur eux. Ceci implique de  repenser nos rapports et de prendre conscience de nos propres biais et préjugés. Cette réconciliation passe nécessairement par une éducation sur l’histoire des pensionnats. Cette dernière n’est pas seulement une responsabilité scolaire, mais dépend aussi de notre volonté d’en parler entre nous. 

Photo: Archive Them Days

Le pensionnat St. Mary’s River School.


Photo: Archives Them Days

Cet article fait partie de notre dossier:

Le colonialisme par l’éducation

À lire aussi:

  • Un long chemin détaillé dans un livre
  • Où et quand: les pensionnats de TNL

Les commentaires sont modérés par l’équipe du Gaboteur et approuvés seulement s’ils respectent les règles en vigueur. Veuillez nous allouer du temps pour vérifier la validité de votre premier commentaire.

Laisser un commentaire

Choisir votre option d'abonnement au Gaboteur

Numérique

(web + tablette + mobile)
Annuler à tout moment

Papier

(accès numérique inclus)
Annuler à tout moment

Infolettre

(des courriels de nous)
Annuler à tout moment