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Pourquoi partir ? Pourquoi revenir ? Témoignage d’un Terre-Neuvien pour qui 2015 fut l’année de sa « Come Home Year ».

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Chère grande ville…

Un texte de Kyle Mooney

Vivre à Terre-Neuve n’était pas une option pour moi. Je ne pouvais imaginer un futur ici. J’avais le sentiment de vivre dans un monde fermé. Cette île imposait des limites à tous les aspects de ma vie – le travail, l’argent, l’amour. J’avais le sentiment qu’elle se refermait sur moi. J’étais coincé, encerclé, j’étouffais. Je suis parti.

Je suis parti pour faire mon nid, profondément, dans la vie urbaine. J’ai trouvé l’espace dont j’avais besoin dans les rues des villes. J’ai trouvé la liberté dans les sentiers sans fin qui m’étaient soudain accessibles, soulagé par l’absence de l’idéologie dominante qui contrôlait la vie quotidienne. 

J’ai aligné les battements de mon coeur avec ceux de la ville, ses rythmes sont devenus les miens. J’ai commencé à penser comme la ville, à agir comme elle. Quand je protestais. J’ai protesté. Quand elle célébrait, je célébrais. Quand elle s’animait, je m’animais aussi. 

Le rythme régulier de Toronto et sa culture protestante m’ont poussé à m’accomplir. La paresse relative de Montréal et son hyper créativité m’ont poussé à me centrer sur ce qui était naturel en moi. La diversité et les esprits inspirants auxquels j’ai été exposé dans ces deux villes m’ont aidé à éroder les croyances profondes et destructives que j’avais longtemps entretenues sans avoir jamais eu la possibilité – ou le motif – de remettre en question. 

Dix ans plus tard, ma quête pour le bruit, les foules et les structures bâties de main humaine avait été atteinte. Je n’étais plus charmé par la décadence urbaine. Les odeurs des rues du centre-ville n’étaient plus libératrices. Je ne pouvais plus tourner un coin de rue et voir d’autres duplex et triplex. J’avais besoin de voir le ciel sans obstacles. 

J’ai eu un profond désir de revenir à la maison – pour l’océan, l’air frais, les courtes files d’attente et les repas chez ma mère. J’ai commencé à halluciner des images de St. John’s. Des fenêtres de mon bureau à Longueuil, le Mont-Royal avait les dimensions des collines du South Side. Je tournais le coin d’une rue du Plateau Mont-Royal et je jure que j’étais sur la rue Water. Partout où je regardais, je voyais des signes qui me conduisaient à la maison. Un jour, tout juste rentré à Montréal après un séjour à St. John’s, un livre de musique de Steve Wonder s’est ouvert sur la page d’une chanson que je n’avais jamais entendue. Son titre avait un  message  clair : Go Home.

Je suis de retour chez moi depuis sept ans.  

La frénésie de la ville est aujourd’hui une mémoire lointaine. J’entend plus de goélands que de sirènes. Une file de sept autos prend des airs de congestion routière. 400 km de sentiers longent la côte Est de l’île. J’ai peut-être vu 10 personnes en 20 heures de marche. Il y a un étang naturel au sommet de la colline qui surplombe le port de ma ville natale. Même dans une journée de canicule, ses abords sont complètement déserts.

Et oui, je me sens parfois coincé, étouffé, enfermé.  

L’espace physique se trouve en abondance ici, mais pas les êtres humains.

J’avais oublié cet aspect de la vie à Terre-Neuve. J’avais aussi oublié que moins de personnes signifient moins de nouvelles idées, moins de visionnaires, moins de… tout.

Depuis que je suis revenu à la maison, c’est devenu clair pour moi que l’utopie d’un environnement parfait n’existe pas.  

Les villes sont socialement libératrices, mais physiquement contraignantes. La vie insulaire est physiquement libératrice, mais socialement contraignante. 

Tout est question de choix : nous sacrifions quelque chose pour gagner autre chose.

N’empêche. Je me dis parfois : Comment ai-je pu me sentir coincé, ici ?

Crédit : Émilie Marchal

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