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Passer les frontières pour se retrouver

Le désir de se retrouver, après de longs mois de séparation imposés par un virus. Retrouver les siens, dans une autre province, dans un autre pays, voire sur un autre continent. Se retrouver et se redécouvrir par des étreintes, des larmes, des rires, des échanges de regards, et de mots ou de silences qui disent eux aussi ce qu’il y a à dire.

Florian Villaumé – RETROUVER UNE NOUVELLE ÉNERGIE

«D’habitude, j’appréhende le mois d’août ici car il fait trop chaud en Franche-Comté, et tout est très sec. A mon retour, j’ai été surpris par la végétation abondante, c’est inhabituel. Il a beaucoup plu en juillet cette année!», s’étonne Florian Villaumé. Une étendue de champs verdoyants et la verdure des arbres aperçus derrière lui pendant l’entrevue viennent appuyer ses dires.

C’est le besoin de passer du temps avec sa famille française et de «sortir de l’endroit dans lequel on vit pour voir autre chose» qui a poussé le Franco-Canadien à traverser l’Atlantique avec une partie de sa famille cet été. Arrivé au Canada il y a quatorze ans, Florian s’est installé à St. John’s en 2016 avec sa femme et ses enfants. «Quand tu es expatrié, c’est un choix que tu fais de ne pas avoir l’avantage d’avoir toute ta famille proche de toi. Donc il faut le rééquilibrer avec des voyages, et ce besoin était très présent après trois ans sans se voir.»

Retour imprévu

Ce retour aux sources de cinq semaines en Franche-Comté, dans l’est de la France, n’était pas prévu au programme. La possibilité d’avoir une deuxième dose de vaccin à St. John’s plus tôt que prévu et l’assouplissement des restrictions en France pour les ressortissants français vaccinés sont à l’origine de cette décision soudaine.

«Avec la pandémie, notre perception du voyage a changé. On a la perception que cela reste assez compliqué et risqué à cause des réglementations non homogènes entre les différents pays», observe le Français qui a obtenu sa citoyenneté canadienne en 2019. Ayant eu lui-même une frayeur de dernière minute, soit celle de rester bloqué en Allemagne lors de son escale pour retourner en France, il souligne l’importance de bien vérifier et respecter les conditions d’entrée de chaque pays, qui peuvent différer même au sein de l’Union européenne.

la tête d'un garçon en train de regarder un match de football.
«On se sent libéré, content»: pour le passionné de soccer Florian Villaumé, revoir un match dans un stade avec son fils témoigne de cette nouvelle normalité qui s’installe progressivement.
Photo: Courtoisie Florian Villaumé

«On se sent libéré»

Ce retour, malgré les incertitudes liées au voyage, fait du bien, beaucoup de bien. «Même si chez moi c’est Terre-Neuve et que je me considère Canadien, ça permet de se ressourcer un peu. […] Pendant 18 mois, avec la pandémie, on a tout pris sur nous, dans l’attente que ça passe. Dès le 1er jour quand je suis arrivée, de revoir la famille, ça m’a donné une nouvelle énergie, quelque chose de plus en moi!»

En plus de cette nouvelle énergie, Florian Villaumé parle du sentiment de libération qu’il ressent durant son séjour en France. «On sent qu’on est proche de la fin et qu’une certaine normalité s’installe», explique-t-il. Pour lui, cette liberté se traduit par le fait de pouvoir assister à des matchs de soccer en vrai, flâner dans des brocantes franc-comtoises ou faire le tour de sa famille, tout en prenant les précautions sanitaires nécessaires bien sûr.

Plusieurs fois pendant la discussion, Florian Villaumé souligne à quel point il est chanceux de ses retrouvailles en famille. «Je pense à tous les expatriés qui ne peuvent pas tous voyager et je réalise que je suis chanceux et privilégié de pouvoir accéder à cette nouvelle énergie. Je souhaite cette même chance pour les autres. Se revoir, ça fait du bien», réaliste-t-il.

Anne Thareau – LE PIED ET LE CŒUR DE CHAQUE CÔTÉ DE L’OCÉAN

«Et si je n’ai pas fait tout ce qu’il fallait? Et si le test est positif? Il y a toujours ce stress avant de partir[…], et la peur qu’on ne nous laisse pas entrer dans le pays demeure bien présente. Tant qu’on n’a pas atteint la destination finale finale, on ne respire pas complètement», raconte Anne Thareau, professeure de français au département de langues modernes, de littérature et cultures de l’Université Memorial (MUN).

Test PCR à répétition, plan de quarantaine, séjour obligatoire à l’hôtel, attestation sur l’honneur, preuves de vaccination… Après trois voyages entre la France et le Canada depuis mars 2020, on peut dire que la Française est devenue une experte dans les démarches qui accompagnent les passages de frontières en temps de pandémie.

Venue dans la province pour un contrat de huit mois comme assistante de langue à MUN, Anne Thareau y est toujours 40 ans plus tard. Celle qui dit avoir «un pied et une partie du cœur de chaque côté de l’océan» rentre normalement chaque année dans la région de Nantes pour revoir sa famille et reconnecter avec la culture française. Malgré cette année mouvementée d’allers-retours, elle nous la raconte avec le sourire et humour.

«Comme en Allemagne de l’est»

Début 2020, la COVID-19 atteint la France. Anne Thareau se trouve alors à Nice pour accompagner les étudiants de 3e année qui participent au programme d’immersion à l’université niçoise. Alors que ceux-ci rentrent l’un après l’autre à Terre-Neuve, elle décide de rester en France et passe son confinement avec vue sur la mer Méditerranée.

Elle rentrera finalement le 15 mai 2020 dans sa province d’adoption. «Il y avait très peu de gens dans l’avion. J’avais l’impression d’être en Allemagne de l’Est avant la chute du mur de Berlin, c’était surréaliste. Arrivé à l’aéroport de Montréal, il n’y avait aucune enseigne ouverte, c’était d’une tristesse!», se souvient Anne Thareau.

Deux femmes devant une rivière en France
Anne Thareau accompagnée de sa sœur Maryse dans la cité médiévale de Clisson, en Loire-Atlantique «Vite, vite, avant l’instauration du passe sanitaire, maximisons le week-end: exposition, concert et promenade dans le parc et de bons moments en famille.» Photo: Courtoisie Anne Thareau

Repartir apaisée

Huit mois plus tard, la professeure doit retourner d’urgence en France pour être auprès de son père, gravement malade. Sur place, l’isolement est source d’anxiété pour Anne, qui doit attendre 14 jours avant de pouvoir voir son père. «Accompagner un mourant, c’est déjà difficile, mais la COVID vient encore plus compliquer les choses», observe-t-elle en faisant notamment référence au couvre-feu obligatoire et à la peur d’exposer ses parents au virus.

Durant cette période au chevet de son père, enseigner à distance à MUN lui permet de garder un pied dans une sorte de normalité. «Donner mes cours, c’était une sorte de rayon de soleil dans ma journée, ça m’a aidé à me sortir la tête de ces moments difficiles», réalise la professeure.

Revenue en mars 2021 au Canada, la francophone n’avait pas prévu de retourner en France cet été. «Mon père est décédé en mai. Pour moi, c’était plus important de l’accompagner début janvier pendant qu’il était vivant, plutôt que de revenir une fois qu’il serait mort.» Elle décide finalement de rentrer au début du mois de juillet afin d’accompagner sa mère dans son deuil. «Avec mes sœurs, on a aidé ma mère à réorganiser ses pièces de vie, on a pris du temps ensemble pour faire des choses qu’il fallait faire, pour parler de la maladie, et se reposer.»

Expositions, musées, apéros ou déjeuner en famille et entre amis… Son crédo pendant cette période – avant l’instauration d’une passe sanitaire par le gouvernement français – est de profiter au maximum de bons moments ensemble. «Je me suis dit: “on ne remet rien, on fait, on fait le plus possible”.» Trois semaines plus tard, elle repart au Canada l’esprit apaisé: sa mère semble un peu plus reposée, elle a recommencé à jardiner.

Chantal Lecavalier – 1200 KILOMÈTRES AVANT DE SE RETROUVER

Avec une fille à l’université à Montréal et des parents qui y résident, plus de 1200 kilomètres entre sa ville natale et Labrador City, sa ville d’adoption, ont paru très éloignés à Chantal Lecavalier avant l’assouplissement des restrictions.

Montréalaise d’origine et vice-présidente de l’Association Francophone du Labrador, cette francophone habite à Labrador City depuis environ 15 ans avec son mari et ses enfants. Puisqu’il était Impossible de se voir pour les Fêtes de fin d’année comme à l’accoutumé, ils ont dû attendre cet été pour retrouver sa fille et ses parents à Montréal.

Ainsi, lorsque Chantal et sa famille ont pris la route pour Montréal, ils sont restés un peu plus longtemps qu’à l’habitude. «Quand je pars, je pars toujours pour un mois parce qu’on a quand même quatre jours de route – deux jours allers, et deux jours pour revenir en auto.»

Mais après environ deux ans sans avoir vu sa belle-famille, Chantal et compagnie ont décidé de rester 6 semaines pour ce voyage tant attendu.

Une femme qui tient une poisson qu'elle a pêché dans ses mains sur une rivière au Labrador
Québécoise d’origine, Chantal Lecavalier vit maintenant depuis 15 ans à Labrador City. Elle accompagne volontier son compagnon lors de ses parties de pêche. Photo: Archives du Gaboteur

Un symptôme tout guéri

«Ça fait quand même du bien de se retrouver en famille. C’est ça qui est le plus difficile dans le fond», avoue-t-elle.

Si la COVID-19 peut vous rendre malade physiquement, un symptôme dont on parle moins est la manière avec laquelle le temps joue avec vous après avoir été isolé de vos proches. Chantal connaît très bien cette réalité de la pandémie.

«La conjointe de mon père a été malade pendant la COVID et je n’ai pas pu être près d’elle, alors c’est sûr que c’est très difficile quand on se retrouve enfin et qu’on voit comment les gens ont changé. Le vieillissement des gens, quand on arrive à un certain âge, c’est ce qui nous frappe aussi.»

Bien que le temps puisse «frapper fort», une longue absence peut signifier des retrouvailles chaleureuses. Ce qui est important pour elle: «le fait de voir mes beaux-parents tellement heureux de nous revoir, et que ça leur a manqué». La voix de Chantal prend son envol: «Ils sont contents de nous voir, ils se sont ennuyés. Et puis, ils sont heureux [de pouvoir passer] du bon temps ensemble.»

Si Montréal est une grande ville, avec plus de cas qu’à Labrador Ouest, Chantal a observé qu’avec plus de vaccins, les restrictions s’assouplissent un peu là-bas. «C’est comme plus relâché, là présentement. On a été vacciné, donc ça a allégé un peu la situation.»

Suivre les conseils sanitaires est toujours pertinent, mais la Labradorienne d’adoption a hâte de voir une nouvelle normalité s’installer: «On a suivi les règles, on a fait ce qu’on avait à faire, mais c’est toujours le fun de retrouver notre liberté en tant qu’humain.»

Maggie Meyer – DE LA PETITE ÎLE FRANÇAISE À LA GRANDE ÎLE TERRE-NEUVIENNE

Douze jours précieux pour rattraper un an et demi passé sans pouvoir se retrouver. «Pour moi, c’était exceptionnellement long. En général, je retourne trois à quatre fois par an à Terre-Neuve pour rendre visite à ma famille et mes amis», explique Maggie Meyer. Née à St. John’s, elle a choisi de rejoindre son compagnon français à Saint-Pierre en 2011, où leur fils Max naîtra en 2015.

Début juillet, lorsque les restrictions changent pour les Canadiens entièrement vaccinés, la Terre-Neuvienne décide de réserver ses billets pour St. John’s. Son retour se fera seule, puisque son fils de six ans n’est pas vacciné, et son conjoint n’a pas de passeport canadien. «J’étais déçue d’apprendre que j’étais obligée de partir sans eux», se souvient-elle.

Un voyage stressant, mais nécessaire

Son voyage sera «deux fois plus long et deux fois plus cher que d’habitude». Comme les liaisons aériennes et maritimes entre l’archipel français et l’île canadienne sont encore suspendues en juillet, elle doit voler jusqu’à Montréal pour remonter ensuite à Terre-Neuve.

Un voyage également plus stressant. «J’ai eu un peu peur quand même du virus et peur d’avoir oublié un document pour entrer au Canada. J’étais un peu anxieuse, j’ai dû sortir de ma zone de confort, mais je me suis dit que c’était nécessaire», raconte Maggie Meyer.

Un voyage nécessaire pour elle afin de retrouver les siens, mais aussi faire le deuil de son beau-père, décédé en mai 2020. «À cause des restrictions à l’époque, je n’ai pas pu rentrer pour l’enterrement. Nous avons fait une célébration pour lui cet été. […] J’ai retrouvé mes sœurs et nous avons pris le temps de faire notre deuil ensemble.»

Douze jours pour se retrouver

Pouvoir se parler en vrai et serrer dans ses bras ses sœurs, sa petite nièce, son père sont autant de moments précieux qu’elle chérit une fois arrivée. «Il y a eu des larmes [à l’aéroport]. Je me suis rendue compte que malgré la petite distance qui sépare Saint-Pierre de Terre-Neuve, n’importe quoi peut arriver pour nous empêcher de voyager. C’est pourquoi maintenant je profite de chaque moment avec ma famille et mes amis quand je peux les revoir», affirme-t-elle.

Une femme et une fille en train de manger des beignets ensemble
Maggie Meyer savoure sa toute première bouchée de sucreries Tim Hortons après dix-huit mois sans pouvoir en manger, en compagnie de sa nièce Alice. Photo: Courtoisie Maggie Meyer

Les retrouvailles avec son entourage s’accompagnent de retrouvailles avec «ses» lieux. Après dix-huit mois sans voir sa ville d’origine, Maggie Meyer y observe des changements. «J’ai remarqué que les prix ont augmenté dans les commerces à St. John’s depuis 2019. La ville a changé, j’y ai noté plus d’activités. Inversement, j’ai remarqué que certains membres de la population ont été touchés économiquement par la pandémie.»

Bien que la situation épidémique mondiale reste encore aujourd’hui compliquée, la Terre-Neuvienne se montre malgré tout optimiste: «Si on reste solidaires, si on prend les autres en considération, et si on se montre patient, nous pouvons surmonter n’importe quel défi.»

Le long voyage pour revenir ensuite à Saint-Pierre – huit heures d’escale à Montréal – n’a rien enlevé à la joie que lui ont offert ses douze jours de retrouvailles terre-neuviennes. «Douze jours intenses, précieux, et extrêmement importants pour mon bien-être», conclut Maggie Meyer.

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