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Le rôle à jouer des communautés francophones dans l’installation des réfugiés afghans

Depuis la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, une question fait le tour des services d’accueil, réseaux d’immigration et communautés francophones au Canada: comment accueillir les réfugiés afghans adéquatement, en français? Des programmes spéciaux d’IRCC y répondent en partie, mais les services veulent unir leurs forces sur le terrain.

Inès Lombardo
FRANCOPRESSE

À cet effet, la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada a orchestré le 14 octobre dernier une séance d’information sur la réinstallation des personnes réfugiées. 

Une cinquantaine de participants y ont brassé des idées sur les manières dont les communautés francophones et acadiennes peuvent s’impliquer dans le processus, au bénéfice de ceux qui fuient l’Afghanistan depuis le mois d’août. 

Cette séance d’information se voulait une première étape pour partager de l’information générale sur les divers programmes de réinstallation des réfugiés d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), a expliqué Yves Saint-Germain, qui y occupe le poste de directeur général par intérim de l’immigration francophone et des langues officielles. 

Ce dernier a rappelé que le Canada se concentre sur réinstallation des femmes leadeures, des défenseurs des droits de la personne, des minorités religieuses ou ethniques persécutées, des personnes de la communauté LGBTQI+, des journalistes ou des personnes ayant aidé des journalistes canadiens, des membres de la famille immédiate des ressortissants afghans déjà au Canada et des membres de la famille élargie d’interprètes qui ont déjà été réinstallés. 

Des programmes spéciaux ont été développés par le gouvernement canadien pour accueillir ces personnes. Ils sont divisés en trois volets: le Programme des réfugiés pris en charge par le gouvernement (RPG), lui-même lié au Programme d’aide à la réinstallation (PAR); le Programme mixte des réfugiés désignés par un bureau des visas (RDBV); et le Programme de parrainage privé de réfugiés (PPPR).

Retards de documentation

Sur le terrain, plusieurs défis se présentent aux organismes d’accueil. Bintou Sacko, directrice d’Accueil francophone à Winnipeg, a partagé quelques expériences vécues par son organisme, dont le mandat est «d’aider les nouveaux arrivants à s’établir dans la province». 

Premier défi: le logement. Un nombre élevé de réfugiés afghans étant arrivés en même temps, «le logement de transition ne peut plus les contenir, donc nous travaillons avec une chaine d’hôtels qui a une entente avec IRCC», explique la directrice de l’organisme manitobain, qui a été responsable de 51 personnes en un seul soir, le 14 octobre à Calgary. 

«[L’autre] défi que nous avons sont les retards [pour obtenir] la documentation et la preuve de résidence permanente. Nous avons dû avoir une formation pour aider les gens à remplir certains formulaires du gouvernement pour avoir la résidence permanente, car ils arrivent dans une situation catastrophique. Certains n’ont pas eu le temps d’apporter des documents. On doit les aider à bâtir [ces] documents inexistants», constate Bintou Sacko. 

L’absence de papiers retarde le processus de réinstallation dans d’autres services du gouvernement, comme Service Canada pour l’obtention du numéro d’assurance sociale. 

Il arrive qu’après négociations, certains services se débloquent, comme les banques: «Certaines ouvrent rapidement les comptes bancaires, même sans les papiers», se réjouit Bintou Sacko. 

«La langue, c’est l’ouverture à la communauté» 

La directrice d’Accueil francophone note un autre obstacle de taille: la nécessité de travailler avec des interprètes, de l’arrivée à l’aéroport jusqu’à la fin de l’installation. Selon elle, la langue peut être un défi en plus, surtout lorsque les réfugiés afghans francophones ne connaissent pas le contexte du bilinguisme canadien. Bintou Sacko observe qu’ils ne peuvent pas savoir qu’ils ont la possibilité de vivre en français, même si la province est anglophone. «Ce serait bien que la communauté francophone leur explique la francophonie», suggère-t-elle. 

C’est aussi vrai dans le contexte de la recherche d’emploi; lorsque les réfugiés afghans tentent de trouver du travail, c’est souvent en anglais, au détriment d’une possible francophonie. 

La directrice d’Accueil francophone ajoute: «Je pense que le défi se situe ici: comment peut-on sensibiliser davantage les clients anglophones à intégrer l’apprentissage du français comme langue de formation? […] Car la langue, c’est l’ouverture à la communauté.» 

Une réalité que rapporte également Sébastien Morneault, directeur du Centre de ressources pour nouveaux arrivants au Nord-Ouest inc. (CRNA-NO) au Nouveau-Brunswick. Il ajoute qu’«avec la pénurie [de main-d’œuvre] au Canada, on pourrait déduire qu’il y a un accès à l’emploi, mais ça ne fait pas longtemps que la région s’ouvre aux immigrants. Les employeurs sont encore réticents». 

Selon lui, la stratégie historique de sa région est de protéger les communautés francophones. «Avec 96% de franco- phones, dont 64% de bilingues, [nous sommes] “tricotés serré”. Mais conserver notre façon de faire pour se protéger devient un frein. On doit réapprendre à s’ouvrir au monde», analyse-t-il. 

Depuis la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, une question fait le tour des services d’accueil, réseaux d’immigration et communautés francophones au Canada: comment accueillir les réfugiés afghans adéquatement, en français? Photo: Pxhere

Les forces des différents réseaux d’aide 

Si la Franco-Manitobaine et le Néobrunswickois se rejoignent sur un plan, c’est par rapport à la force des réseaux mis en place sur le terrain – notamment les bénévoles, ce «noyau dur», et les partenaires communautaires qui «jouent aussi un rôle fondamental», observe Sébastien Morneault. Dans les lieux plus ruraux, il loue la proximité des services, des élus et des partenaires: «On peut capitaliser sur [ces ressources] quand les défis surviennent.» 

Pour trouver des logements aux réfugiés, Bintou Sacko a impliqué le secteur communautaire, doté d’un réseau de bénévoles qui les a jumelés avec des familles locales. Chaque matin, des rencontres sont organisées pour faire une mise à jour des dossiers. 

Toujours au Manitoba, Bintou Sacko souligne le travail des groupes ethnoculturels pour encadrer l’arrivée des réfugiés: «La communauté établie ici depuis longtemps a prêté mainforte via des dons.» 

Elle plaide toutefois pour une meilleure coordination entre ces groupes et son organisme: «Nous avons deux mandats différents […] Il faut que cette collaboration soit structurée et que nos efforts convergent pour éviter que le client ne se perde. Il peut y avoir plusieurs leadeurs communautaires dans la même communauté, qui essaient de se partager les clients.» 

Pour Sébastien Morneault, c’est un peu l’inverse: «Le manque de ces groupes ethnoculturels» dans sa région est un «risque d’isolement rapide [des réfugiés]. On le sait tous, le choc culturel est plus intense [quand] on ne retrouve pas des gens de même origine». 

C’est pourquoi il voit le parrainage privé comme «un peu la solution à tous nos problèmes, car l’aide est apportée au niveau du logement, du transport, et tout le réseau du parrain privé est accessible au réfugié».

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