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De quoi l’horreur au cinéma est-elle le nom?

Au cours des dernières semaines, nos quartiers ont lentement commencé à être saturés par les traces d’un autre monde, par des indices du surnaturel. Démons, sorcières, squelettes et araignées géantes en sont ainsi venus à habiter les espaces de nos vies quotidiennes. Autant de signes ostentatoires annonçant la fête de l’Halloween.

Ce déguisement de nos espaces s’accompagne bien sûr du déguisement rituel de nos corps. La nuit du 31 octobre est peuplée de centaines de jeunes et de moins jeunes qui, le temps d’une journée, cessent d’être qui et ce qu’ils sont afin de devenir ce qu’ils ne peuvent pas être au quotidien: superhéro, sorcière, loup-garou, ninja ou princesse. La nuit de l’Halloween pourrait être décrite comme une espèce de fuite du réel afin de flirter avec l’impossible ou l’étrange. Échapper à nos existences afin de devenir ce que nous ne pouvons pas être.

Ces pratiques de déguisement de nos lieux et de nos corps s’articulent bien sûr avec une autre pratique culturelle, toute aussi importante: la consommation cinématographique de l’horreur. Alors même que nos maisons sont décorées et que se vendent à la tonne bonbons et chocolats, la création de films d’horreur elle aussi s’emballe, nourrissant une longue tradition de films qui nous font vivre la hantise et la violence de l’horreur: Scream, Halloween et Chucky n’en sont que les noms les plus célèbres.

Le sens à donner à cette consommation de l’horreur, cependant, ne va pas nécessairement de soi. On peut la comprendre bien sûr comme ce désir un peu masochiste d’avoir peur, de s’exposer à un risque sans réellement se mettre en danger: avoir peur d’un tueur en série qui ne pourra jamais ajouter notre nom à sa liste de victimes; être hanté par des spectres que nous ne rencontrerons jamais (en principe). 

Cette lecture de notre consommation de l’horreur n’est pas sans mérite. Elle repose cependant sur quelques présupposés qui, eux, demeurent bien souvent dans l’ombre de notre pensée, comme autant de spectres que nous ne voulons pas voir. Arrêtons-nous sur ce fait premier: il y a ce désir de l’horreur. On veut avoir peur. 

Désirer l’horreur

On nous présente souvent l’humain comme étant cet animal qui recherche sa propre sécurité, le réconfort d’un chez-soi paisible, l’amour de son prochain et la douceur d’une vie ponctuée de joies tranquilles. 

Or voilà que cette consommation de l’horreur nous révèle un autre désir, un désir de quelque chose d’autre entièrement: la peur engendrée par une figure menaçante; la découverte de la violence de notre voisin animé par la soif du sang; la découverte peut-être de notre propre violence et de notre propre soif du sang; le désir inconscient d’habiter une demeure qui, loin de nous assurer un confort bourgeois et chaleureux, nous révèle que nous ne sommes pas seuls à habiter une maison; que cette dernière aussi a une vie et une volonté qui lui est propre.

Ce désir d’avoir peur et de craindre pour sa vie nous fait entrer dans la noirceur d’une salle de cinéma ou dans les pénombres d’un salon à peine illuminé par les lueurs de notre écran. 

Il est important de noter que ce désir nous fait entrer dans les pénombres où toutes les formes sont incertaines et inquiétantes, mais qu’il nous fait aussi et surtout fuir le confort de la lumière du jour où les objets peuvent aisément être identifiés. Car le fait de choisir d’entrer dans la noirceur de la salle du cinéma et de s’exposer aux violences et aux horreurs de ces images est, à ce moment-là, l’expression d’une préférence bien réelle, la nôtre.

Comme si ce que nous redoutions vraiment, c’était la sécurité et la chaleur de la lumière du jour plutôt que les profondes noirceurs de la nuit. Comme si ce qui nous faisait véritablement horreur, c’était le fait de vivre une vie en toute sécurité. La consommation de l’horreur devient ainsi l’outil par lequel nous satisfaisons ce désir plus profond, ce désir d’approcher la mort sans y succomber.

Scène tirée de l’émission sud-coréenne Squid Game sur Netflix (2021): «La vie dehors, c’est l’enfer de toute façon».

Désir et fuite

Mais renversons la perspective et revenons au motif initial évoqué tout au début: il s’agit de fuir notre existence, de fuir nos identités et les lieux ordinaires de nos vies. Or, que fuyons-nous au juste? Quelles ombres hantent nos espaces quotidiens? Quelles violences marquent nos vies au point où, rituellement, il nous faut les fuir, même si ce n’est que pour une journée? 

Le deuxième épisode de la série sud-coréenne Squid Game, intitulé «Enfer», met peut-être en scène le début d’une réponse à cette question. Ayant été exposée lors du premier épisode à la cruauté et à la violence des jeux auxquels participent près de 500 personnes pauvres et lourdement endettées, une des participantes insiste malgré tout: il faut continuer à jouer.

La raison en est que l’enfer, le véritable enfer, n’est pas l’horreur et la violence de ces jeux, mais la violence et l’horreur des règles inégalitaires du jeu social. Ainsi, ce personnage ne participe pas au Squid Game parce qu’elle serait animée par un désir positif ou affirmatif de jouer. Elle est habitée au contraire par l’horreur de sa propre vie. Son désir de jouer est une fuite.

Reposons-nous donc la question: quel est cet enfer de la vie quotidienne que notre consommation de l’horreur nous permet de fuir? Et si ce besoin de faire l’expérience du pire n’était qu’une tentative d’échapper à la vie réelle, à ses violences et à ses souffrances? un simulacre nous permettant de détourner le regard? même si ce n’est que pour un instant… 

Joyeux Halloween.

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