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De Baie-Comeau à Goose Bay, une femme seule sur la route

On ne parcourt pas 1700 kilomètres en terrain solitaire sans une bonne histoire! Sur la Translabradorienne, il faut s’attendre à beaucoup et prévoir encore plus. Notre correspondante l’a appris à ses dépens. Laura Landry La première fois qu

On ne parcourt pas 1700 kilomètres en terrain solitaire sans une bonne histoire! Sur la Translabradorienne, il faut s’attendre à beaucoup et prévoir encore plus. Notre correspondante l’a appris à ses dépens.

Laura Landry

La première fois que j’ai parcouru cette route, j’ai eu droit à la totale. Mes lignes de freins avant et arrières ont cassé en plein milieu entre Baie-Comeau et Fermont. Au volant d’une vieille mini-fourgonnette déjà trop chargée, impossible de penser à continuer. Je me trouve au milieu de nulle part, seule, sans communication ni connaissances mécaniques ou pièces de rechange. Je regarde tout autour; la forêt, le ciel, ça y est j’ai fait le tour. Je réfléchis, que faire?  Faire du pouce en espérant que l’un de ces camions de transport pleinement chargés et roulant à toute allure s’arrête et me fasse monter? 

On m’a déjà dit que le vandalisme est fréquent sur les véhicules laissés sans surveillance au bord de cette route trop peu patrouillée. Je crains de laisser mon véhicule seul, tout ce que je possède sur cette terre se trouve à l’intérieur. J’ai aussi peur des ours. Mon oncle m’a dit qu’ils aimaient le goût du caoutchouc; une fois, ils ont mâchouillés ses quatre pneus. J’ai seulement deux pneus de surplus, misère!

C’est quoi, la route 389?

Il est près de midi, quand deux agents de la faune viennent se stationner près de moi pour dîner. Coup de chance, ils ont un téléphone satellite. 38 touches plus tard, je joins CAA. La téléphoniste, qui ne semble avoir aucune idée de ce qu’est la route 389, me demande plusieurs fois dans quelle ville je me trouve : « Entre Baie-Comeau et Fermont, au kilomètre 300 quelque chose, mais concrètement, au milieu de nulle part ». Je raccroche, en espérant qu’elle loge un appel auprès d’une dépanneuse de Fermont et qu’ils me trouvent.

Quelques minutes plus tard, deux véhicules tout terrain se rapprochent de ma voiture, je les salue: ce sont deux couples de chasseurs en vacances qui logent dans une petite cabane en bois pas très loin. Ils m’observent depuis quelque temps et sont venus voir si j’avais réussi à téléphoner à l’assistance routière. Ils m’offrent d’aller passer le temps avec eux en attendant la dépanneuse. Je les accompagne jusqu’à la petite cabane, on s’assoit et on jase de tout et de rien. Cinq heures plus tard, toujours pas de dépanneuse en vue et je n’ai aucun moyen pour retéléphoner. C’est alors qu’une niveleuse entre dans la cour des chasseurs. Le chauffeur descend et s’adresse à moi : « Le garagiste de Baie-Comeau m’a contacté sur ma radio, ton appel a été annulé, tu vas devoir les rappeler ». Il m’offre de me reconduire au Relais-Gabriel. Je remercie les chasseurs et je promets de revenir les voir la prochaine fois que je passe sur cette route, promesse que j’ai tenue l’année suivante. Je monte donc à bord de la niveleuse qui, en passant, n’est aucunement faite pour accueillir des passagers. Je me retrouve donc coincée entre la fenêtre du tracteur et le chauffeur pendant une heure et demie. Ça me dérange peu car je suis beaucoup plus contente de ne pas devoir conduire et d’avoir de la compagnie. En position semi-assise, semi-debout, j’écoute le chauffeur qui connaît chaque kilomètre de cette route comme le fond de sa poche et a une histoire pour chacun d’eux. 

Un trajet en dépanneuse

Au relais, je replace l’appel pour la dépanneuse; on viendra me chercher. Ne reste plus qu’à attendre. 22 h 30 : la dépanneuse arrive enfin. Je monte et je soupire de soulagement lorsqu’on repère mon véhicule avec toutes ses pièces. On l’attache et c’est direction Fermont. Le chauffeur est fort sympathique, il est travailleur temporaire, il fait du 28/14 comme on dit dans le jargon des travailleurs temporaires. 28 jours de travail en ligne et 14 jours de congé pendant lesquels il retourne « en bas », c’est-à-dire quelques parallèles plus bas; dans son cas, Québec. Il est environ 1h30 du matin quand on arrive, les derniers kilomètres avant Fermont sont pénibles, on passe trop souvent par-dessus le chemin de fer, il faut faire des arrêts à niveau à chaque fois. Je crois que j’ai compté, 8 ou 12 fois, je ne sais plus trop, beaucoup trop fatiguée. J’ai regardé une carte routière : le chemin de fer est bien droit, c’est la route qui serpente continuellement par-dessus. Quelques rumeurs tentent d’expliquer cette anomalie mais je ne connais pas encore de raison officielle. 1 h 30 du matin, finalement on arrive. J’avais prévu de dormir dans ma fourgonnette comme pour les autres escales de mon périple, mais le Nord me réserve un -5°C absolument glacial en cette soirée d’automne. Le conducteur me dit qu’il y a une chambre de libre dans la maison de travailleurs où il vit et que je peux y dormir les quelques heures qui nous séparent de l’ouverture du garage. 

Vendredi matin, au garage, je prie très fort que les pièces dont j’ai besoin se trouvent à une distance raisonnable. Autrement, je vais devoir passer plusieurs jours dans la région en attendant la livraison. Heureusement, en moins de quelques heures, je suis prête à partir et je souhaite ardemment ne plus rencontrer de problème pour le reste de ma route. 

Je roule et je roule, le paysage, parfois un peu plus montagneux ou un peu plus sinueux, change peu. Je croise très peu de véhicules, je conduis avec triple prudence. La dernière chose dont j’ai envie c’est de me «ramasser dans le décor» et de ne pas savoir quand je pourrais en sortir. Je continue à écouter en boucle les deux seuls CD que j’ai.  Alors que je commence à perdre la notion des distances, le panneau « Welcome to Happy Valley-Goose Bay » apparaît. Arrivée à destination. Mission accomplie, sans une égratignure. 

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