À l'écran et sur scène, Arts et culture

En reprise : Terre-Neuve, nouvelle terre de cinéma

Terre-Neuve connaît un boom cinématographique. Qu’ils soient producteurs, accessoiristes ou directeurs artistique, les francophones en sont partie prenante. Rencontres, entre la nouvelle série d’aventures documentaires

« Depuis le tournage de la série Republic of Doyle, Terre-Neuve connaît un boom cinématographique. Qu’ils soient producteurs, accessoiristes ou directeurs artistique, les francophones en sont partie prenante. Rencontres, entre la nouvelle série d’aventures documentaires sur Terre-Neuve Hors Circuits et la série historique Frontier », écrivait la rédactrice en chef du Gaboteur, Aude Pidoux, en introduction du dossier « Terre-Neuve, nouvelle terre de cinéma », paru dans notre édition du 18 avril 2016. Ce dossier est finaliste à un Prix d’Excellence 2017 de l’Association de la presse francophone dans la catégorie Arts et culture.

UN CAMION PLEIN DE FOURRURES POUR FRONTIER

François Senécal et Julie Raymond, deux habitants de Trinity d’origine québécoise, étaient responsables des accessoires de la série Frontier. Témoignage, entre fourrures, couteaux, travail du cuir et armes à feu d’époque.

Aude Pidoux

« À la fin du tournage des six premiers épisodes de Frontier, on connaissait tout ce qui concernait la baie d’Hudson dans les années 1780, jusqu’aux fourchettes que les gens utilisaient et aux ragoûts qu’ils mangeaient », sourient Julie Raymond et François Senécal. Ces deux Québécois établis à Trinity East étaient responsables de trouver les accessoires nécessaires au tournage de la première saison de la série Frontier, qui sera diffusée dans le courant de l’année par Discovery Channel et Netflix International. L’action de Frontier se situe à la fin du 18e siècle, alors que le commerce de la fourrure bat son plein autour de la baie d’Hudson. Le tournage a eu lieu à Terre-Neuve à la fin de l’année dernière et au début de cette année.

« Comme il s’agit d’une série historique, c’était assez compliqué : on ne pouvait pas aller magasiner chez Walmart. Nous avons fait venir de Montréal quatre conteneurs remplis de matériel », raconte Julie Raymond, qui était responsable d’acheter les accessoires nécessaires. « Nous avons aussi dû fabriquer beaucoup d’objets qu’on ne trouvait pas ici. Il était souvent plus rapide de fabriquer un objet nous-mêmes que de le faire venir. »

DES PROFESSIONNELS DU CINÉMA QUÉBÉCOIS À SAINT-JEAN : FRANÇOIS SENÉCAL, CHEF ACCESSOIRISTE DE FRONTIER, JULIE RAYMOND, ACCESSOIRISTE EXTÉRIEURE DE FRONTIER, ANNE GRENIER, DÉCORATRICE ET COORDONNATRICE SUR LE FILM QUÉBÉCOIS PAYS, VENUE TOURNER ICI, ET JOSÉE PILON, ASSISTANTE À LA DIRECTION ARTISTIQUE VENU DIRECTEMENT DU QUÉBEC POUR LA SÉRIE FRONTIER.PHOTO : COURTOISIE DE JULIE RAYMOND

Du vieux cuir tout neuf

Julie Raymond et François Senécal ont ainsi beaucoup travaillé le cuir, qu’ils ont ensuite sablé, cogné, ou martelé pour lui conférer un aspect patiné. « J’avais les mains détruites », rit Julie Raymond. Un camion Fedex plein de fourrures a aussi dû être dépêché à Saint-Jean. Et, comme ça ne suffisait toujours pas – il est vraiment beaucoup question de fourrures dans la série, Julie Raymond a récupéré de vieux manteaux à Value Village, en vraie et en fausse fourrure.

Les couteaux et les fusils ont vite tourné au casse-tête pour François Senécal, qui œuvrait en tant que chef accessoiriste. « Il était très important que tous les fusils et couteaux soient, bien sûr, d’époque, mais aussi qu’ils correspondent à l’origine de leurs propriétaires. Selon leur pays d’origine, les gens n’utilisaient pas les mêmes modèles. » François Senécal devait en plus assurer la sécurité des armes à feu. « Les personnages de la série font un grand usage de poudre noire, dont la manipulation, dangereuse, était réalisée sous la supervision de l’armurier John Kavanagh. Dans les scènes où elle n’apparaît que visuellement, nous l’avons remplacée par des gaines de pavot. »

Deux lapins congelés

Même si Terre-Neuve n’a pas autant à offrir en termes d’accessoires que le Québec, les deux accessoiristes, à force de recherches et d’imagination, ont trouvé beaucoup de choses. Ils ont découvert des artisans très doués et ont profité des relations des différentes personnes travaillant sur le plateau. Besoin de deux lapins congelés pour la semaine prochaine ? « Appelle mon oncle ! », lançait l’un ou l’autre membre de l’équipe.

Que buvaient les trappeurs de l’époque comme thé ? Comment attachaient-ils leurs raquettes ? Quel type de fermetures utilisaient-ils sur leurs sacs ? À toutes ces questions, Julie Raymond et François Senécal ont dû trouver une réponse, puis dénicher ou créer un objet similaire à celui qu’employaient les trappeurs de la fin du 18e siècle. « Quand on ne trouvait pas la réponse, on essayait de se mettre dans la peau de la personne et d’imaginer comment elle se débrouillait », explique Julie Raymond.

Une fois les objets disponibles, encore fallait-il qu’ils conviennent aux acteurs. « Certains venaient vers nous en expliquant qu’ils étaient gauchers et n’avaient pas une bonne prise sur tel ou tel couteau, d’autres trouvaient leur matériel trop serré ou inconfortable. Il était important qu’ils se sentent à l’aise avec les objets qu’ils devaient utiliser. » Et aussi qu’ils puissent manger les plats « d’époque » concoctés par les accessoiristes, qui étaient aussi responsables de préparer la nourriture servie dans certaines scènes. Julie Raymond excelle désormais dans les ragoûts et tourtières style 18e siècle, mais sans gluten.

TERRE-NEUVE VERSION AVENTURE

Plonger au fin fond de la mine de Bell Island, s’aventurer dans les souterrains creusés par l’armée américaine… Avec Hors Circuits, une nouvelle série en français diffusée sur Unis TV, le producteur Xavier Georges propose d’explorer des lieux abandonnés de Terre-Neuve-et-Labrador.

Aude Pidoux

TOURNAGE À BELL ISLAND. PHOTO : XAVIER GEORGES

Actif dans le milieu du cinéma depuis 1989, Xavier Georges a fondé sa boîte de production, Sibelle Productions !, en 2014 avec son épouse. Dans Hors Circuits, il s’essaie à un genre original, l’aventure documentaire.

 

Produire une série en français à Terre-Neuve, c’est compliqué ?

Nous n’avons pas eu trop de difficulté à trouver des gens talentueux parlant français. Beaucoup de nos acteurs sont de langue maternelle anglaise, mais bilingues. En revanche, les professionnels du cinéma de Terre-Neuve, dont moi-même, ont été très occupés par Republic of Doyle et Frontier, et il n’a pas toujours été facile de recruter les membres de l’équipe de tournage et de production.

Que désirez-vous montrer de Terre-Neuve-et-Labrador dans la série Hors Circuits ?

Il existe beaucoup d’endroits étonnants dans la province que presque personne ne connaît. L’idée, c’est de s’aventurer dans ces lieux où personne ne va, soit parce qu’il n’y a pas de route, soit parce qu’on n’y pense pas : dans les galeries de la mine de fer de Bell Island englouties par la mer, au fond d’un barrage électrique, dans une usine d’armement désaffectée. Nous visitons des endroits abandonnés dans lesquels règne un certain mystère.

Dans le premier épisode, vous visitez justement la mine de fer de Bell Island. Tout le monde peut le faire.

Oui, mais nous allons plus loin. Nous descendons dans la mine de la même manière que le tour guidé. Quand nous arrivons à l’eau, où s’arrête le tour, Lou, l’héroïne, veut aller voir dessous. Et là, nous descendons en plongée 700 pieds plus loin dans les corridors. Personne n’y était jamais allé avant nous. Nous voulons proposer aux téléspectateurs de nous suivre au-delà des barrières.

Vos histoires tournent autour de Lou, une jeune aventurière globetrotteuse et très curieuse, à qui il arrive des péripéties. Ce n’est donc pas vraiment un documentaire.

Je viens du monde du cinéma de fiction. Le documentaire pur n’est pas le format de ce projet, c’est ce qu’on appelle un docu-fiction. Nous avons abordé Hors Circuits comme une émission de fiction : c’est une aventure. Mais Lou, l’héroïne, veut aussi comprendre l’histoire des lieux mystérieux qu’elle visite. Tous les faits relatés sont donc vérifiés et documentés. Dans le premier épisode, il s’agit de l’histoire de la mine de Bell Island et de l’impact qu’elle a eu sur les gens qui y vivent.

Comment choisissez-vous les lieux que vous explorez ?

On cherche des endroits abandonnés qui ont eu, à un moment ou à un autre, un impact sur les communautés qui les entourent. Je trouve intéressant d’observer ces histoires qui demeurent là des années après. La station radar de Red Cliff, dont nous parlons dans le deuxième épisode, a été utilisée pendant huit ans. Ça fait plus de vingt ans qu’elle se fait manger par la nature. Pourquoi construisons-nous, quelle est la vocation de ce qu’on construit, quel en est l’impact, quel rôle joue la nature dans l’histoire de nos constructions ? Ce sont aussi des questions qu’aborde la série.

Vous avez produit deux épisodes, et d’autres vont suivre en 2017. Savez-vous déjà ce que votre héroïne Lou va explorer ?

Je veux garder la surprise. Tout ce que je peux dire, c’est que nous regardons en direction de la péninsule de Burin, de la côte Sud de Terre-Neuve, mais aussi de tout au nord du Labrador.

 

L’ENVOLÉE DE L’INDUSTRIE DU FILM

Aude Pidoux

« Quand je suis arrivé à Terre-Neuve en 2002 et que je me suis inscrit au syndicat du cinéma, j’ai reçu le dossier numéro 32 », raconte le producteur terre-neuvien d’adoption Xavier Georges. « A l’époque, il ne se passait pas grand-chose d’un point de vue cinématographique et très peu de monde travaillait dans le domaine. » Xavier Georges est donc contraint de faire beaucoup d’allers-retours entre Saint-Jean et Montréal,  où se passe l’essentiel de son travail dans l’industrie du film. Quelques années plus tard, il devient coordinateur du Centre des Grands-Vents de Saint-Jean, puis crée et dirige le Réseau culturel francophone (RCFTNL). Mais en 2011, l’appel du cinéma se fait à nouveau entendre.

C’est l’époque du tournage de Republic of Doyle, et Xavier Georges est engagé comme directeur artistique pour les saisons 3, 4, 5 et 6. Cette série à succès marque l’envolée du cinéma à Terre-Neuve. La province constate que l’industrie du film est un business porteur : chaque dollar investi dans ce secteur en rapporte quatre à la province, estime une étude réalisée par le Département des finances. En conséquence, Terre-Neuve-et-Labrador offre désormais les meilleures conditions de financement au Canada, sous forme de prêts et de crédits d’impôts à rendre jaloux tous les producteurs du pays.

Une génération de professionnels

Ces heureux développements et le tournage de grandes productions dans la région ont permis à une génération de professionnels du cinéma de voir le jour. Lors de la première saison de Republic of Doyle, 60% de l’équipe venait de l’extérieur de la province, contre seulement 20% à la sixième saison, raconte Xavier Georges.

Terre-Neuve-et-Labrador dispose désormais d’une équipe de cinéma plus ou moins complète, soit environ 250 personnes qualifiées. C’est peu par rapport aux 6000 professionnels du cinéma qui évoluent au Québec, mais c’est un immense progrès par rapport aux 32 personnes que comptait le syndicat en 2002. Ce nombre réduit de personnel qualifié empêche la réalisation simultanée de plusieurs grandes productions. « Tous les producteurs attendaient que Republic of Doyle se termine pour lancer leurs projets, raconte Xavier Georges. Puis Frontier est arrivé, et à nouveau, il n’y avait plus personne de disponible. » Mais cette situation a aussi ses avantages : dans la province, les professionnels de l’industrie du film travaillent tout le temps, et dans tous les films ou presque.

Julie Raymond et François Senécal, qui sont partis du Québec pour s’installer à Terre-Neuve il y a deux ans, ne regrettent pas leur déménagement. « On est peu nombreux, tout le monde se connaît, et tout le monde travaille. Au Québec, on peut travailler avec quelqu’un sur un film et ne plus le croiser pendant dix ans. »

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